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peu de temps après lui par Zanini. Quoique compatriote de Leoni, il feignait de ne pas le connaître, ou affectait d’avoir de l’éloignement pour lui. Il racontait à l’oreille de tout le monde qu’ils avaient été en rivalité d’amour à Venise, et que bien que guéris l’un et l’autre de leur passion, ils ne l’étaient point de leur inimitié. Grâce à cette fourberie, personne ne les soupçonnait d’être d’accord pour exercer leur industrie.

Ils l’exercèrent durant tout un hiver sans inspirer le moindre soupçon. Ils perdaient quelquefois immensément l’un et l’autre, mais plus souvent ils gagnaient, et ils menaient, chacun de son côté, un train de prince. Un jour un de mes amis, qui perdait énormément contre Leoni, surprit un signe imperceptible entre lui et le marquis vénitien. Il garda le silence, et les observa tous deux pendant plusieurs jours avec attention. Un soir que nous avions parié du même côté et que nous perdions toujours, il s’approcha de moi et me dit : « Regardez ces deux Italiens ; j’ai la conviction et presque la certitude qu’ils s’entendent pour tricher. Je quitte demain Paris pour une affaire extrêmement pressée ; je vous laisse le soin d’approfondir ma découverte et d’en avertir vos amis s’il y a lieu. Vous êtes un homme sage et prudent ; vous n’agirez pas, j’espère, sans bien savoir ce que vous faites. En tout cas, si vous avez quelque affaire avec ces gens-là, ne manquez pas de me nommer à eux comme le premier qui les ait accusés, et écrivez-moi ; je me charge de vider la querelle avec un des deux. » II me laissa son adresse et partit. J’examinai les deux chevaliers d’industrie, et j’acquis la certitude que mon ami ne s’était pas trompé. J’arrivai à l’entière découverte de leur mauvaise foi précisément à une soirée chez la princesse X —. Je pris aussitôt Zanini par le bras, et l’entraînant à l’écart : — Connaissez-vous bien, lui demandai-je, les deux Vénitiens que vous avez présentés ici ?

— Parfaitement, me répondit-il avec beaucoup d’aplomb, j’ai été le gouverneur de l’un d’eux, je suis l’ami de l’autre.

— Je vous en fais mon compliment, lui dis-je, ce sont deux escrocs. — Je lui fis cette réponse avec tant d’assurance, qu’il changea de visage malgré sa grande habitude de dissimulation. Je le soupçonnais d’avoir un intérêt dans leur gain, et je lui déclarai que j’allais démasquer ses deux compatriotes. Il se troubla tout-à-fait et