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LEONE LEONI.

indulgente et bonne avec elle ; c’est votre rôle de mère, et vous le remplirez aisément. Pour moi, je suis rude, et mon indignation s’exprime plus facilement que ma pitié. Je voudrais être plus persuasif ; mais je ne puis être plus aimable, et ma destinée n’est pas d’être aimé. Paul Henryet. »

— Ceci te prouve, ô mon ami, dit le marquis d’un ton moqueur en présentant cette lettre à la flamme de la bougie, que ta femme est fidèle, et que tu es le plus heureux des époux.

— Pauvre femme ! dit Leoni, et pauvre Henryet ! Il l’aurait rendue heureuse, lui ! Il l’aurait respectée et honorée du moins ! Quelle fatalité l’a donc jetée dans les bras d’un méchant coureur d’aventures, poussé vers elle par le destin, d’un bout du monde à l’autre, lorsqu’elle avait sous la main le cœur d’un honnête homme ! Aveugle enfant, pourquoi m’as-tu choisi ?

— Charmant ! dit le marquis ironiquement. J’espère que tu vas faire à ce propos quelques vers. Une jolie épitaphe pour l’homme que tu as massacré ce soir, me semblerait une chose de bon goût et tout-à-fait neuve.

— Oui, je lui en ferai une, dit Leoni, et le texte sera celui-ci : « Ici repose un honnête homme qui voulut se faire le défenseur de la justice humaine contre deux scélérats, et que la justice divine a laissé égorger par eux. »

Leoni tomba dans une rêverie douloureuse, pendant laquelle il murmurait sans cesse le nom de sa victime. — Paul Henryet ! disait-il. Vingt-deux ou vingt-quatre ans tout au plus. Une figure froide, mais belle. Un caractère raide et probe. La haine de l’injustice. L’orgueil brutal de l’honnêteté, et pourtant quelque chose de tendre et de mélancolique. Il aimait Juliette, il l’a toujours aimée. Il combattait en vain sa passion. Je vois par cette lettre qu’il l’aimait encore, et qu’il l’aurait adorée s’il avait pu la guérir. Juliette, Juliette ! tu pouvais encore être heureuse avec lui, et je l’ai tué. Je t’ai ravi celui qui pouvait te consoler ; ton seul défenseur n’est plus, et tu demeures la proie d’un bandit.

— Très beau ! dit le marquis, je voudrais que tu ne fisses pas un mouvement des lèvres sans avoir un sténographe à tes côtés, pour conserver tout ce que tu dis de noble et de touchant. Moi, je vais dormir ; bonsoir, mon cher, couche avec ta femme, mais