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Alors il me semblait voir les siens s’humecter et un soupir imperceptible soulever sa poitrine ; puis il détournait la tête, comme s’il eût voulu cacher ou étouffer son émotion, et il retombait dans sa rêverie. Je me flattais alors qu’il faisait des réflexions salutaires, et que bientôt il m’ouvrirait son cœur pour me dire qu’il avait conçu la haine du vice et l’amour de la vertu.

Mes espérances s’affaiblirent lorsque je vis le marquis de — reparaître autour de nous. Il n’entrait jamais dans mon appartement, parce qu’il savait l’horreur que j’avais de lui ; mais il passait sous les fenêtres et appelait Leoni, ou venait jusqu’à ma porte et frappait d’une certaine manière pour l’avertir. Alors Leoni sortait avec lui et restait long-temps dehors. Un jour je les vis passer et repasser plusieurs fois ; le vicomte de Chalm était avec eux. — Leoni est perdu, pensai-je, et moi aussi ; il va se commettre sous mes yeux quelque nouveau crime.

Le soir, Leoni rentra tard, et comme il quittait ses compagnons à la porte de la rue, je l’entendis prononcer ces paroles : — Mais vous lui direz bien que je suis fou, absolument fou, que sans cela je n’y aurais jamais consenti. Elle doit bien savoir que la misère m’a rendu fou. — Je n’osai point lui demander d’explication, et je lui servis son modeste repas. Il n’y toucha pas, et se mit à attiser le feu convulsivement ; puis il me demanda de l’éther, et après en avoir pris une très forte dose, il se coucha et parut dormir. Je travaillais tous les soirs aussi long-temps que je le pouvais sans être vaincue par le sommeil et la fatigue. Ce soir-là je me sentis si lasse, que je m’endormis dès minuit. À peine étais-je couchée que j’entendis un léger bruit, et il me sembla que Leoni s’habillait pour sortir. Je l’appelai, et lui demandai ce qu’il faisait. — Rien, dit-il, je veux me lever et t’aller trouver ; mais je crains ta lumière, tu sais que cela m’attaque les nerfs et me cause des douleurs affreuses à la tête ; éteins-la. — J’obéis. — Est-ce fait ? me dit-il. Maintenant, recouche-toi ; j’ai besoin de t’embrasser, attends-moi. — Cette marque d’affection, qu’il ne m’avait pas donnée depuis plusieurs semaines, fit tressaillir mon pauvre cœur de joie et d’espérance. Je me flattai que le réveil de sa tendresse allait amener celui de sa raison et de sa conscience. Je m’assis sur le bord de mon lit, et je l’attendis avec transport. Il vint se jeter dans mes