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plus imposantes. Nous y viendrons ensemble, laisse-moi l’espérer.

Quand j’eus parcouru ce lieu enchanté avec la joie d’un conquérant, je revins m’asseoir à l’endroit où j’avais dormi, afin de savourer le plaisir de ma découverte. Il y avait deux jours que j’errais dans ces montagnes, sans avoir pu trouver un de ces sites parfaitement à mon gré qui abondent dans les Pyrénées, et qui sont rares dans cette partie des Alpes. Je m’étais écorché les mains et les genoux pour arriver à des solitudes qui toutes avaient leurs beautés, mais dont pas une n’avait le caractère que je lui désirais dans ce moment-là. L’une me semblait trop sauvage, l’autre trop champêtre. J’étais trop triste dans celle-ci ; dans celle-là je souffrais du froid ; une troisième m’ennuyait. Il est difficile de trouver la nature extérieure en harmonie avec la disposition de l’esprit. Généralement l’aspect des lieux triomphe de cette disposition et apporte à l’ame des impressions nouvelles. Mais si l’ame est malade, elle résiste à la puissance du temps et des lieux ; elle se révolte contre l’action des choses étrangères à sa souffrance, et s’irrite de les trouver en désaccord avec elle.

J’étais épuisé de fatigue en arrivant à Oliero, et peut-être à cause de cela étais-je disposé à me laisser gouverner par mes sensations. Il est certain que là je pus enfin m’abandonner à cette contemplation paresseuse que la moindre perturbation dans le bien-être physique dérange impérieusement. Figure-toi un retrait de la montagne couvert de bosquets en fleurs, à travers lesquels fuient des sentiers en pente rapide, des gazons doucement inclinés, semés de rhododendron, de pervenche et de pâquerettes. Trois grottes d’une merveilleuse beauté pour la forme et les couleurs du roc occupent les enfoncemens de la gorge. L’une a servi long-temps de caverne à une bande d’assassins ; l’autre recèle un petit lac ténébreux que l’on peut parcourir en bateau, et sur lequel pendent de très belles stalactites. Mais c’est une des curiosités qui ont le tort d’entretenir l’inutile et insupportable profession de touriste. Il me sembla déjà voir arriver, malgré la neige qui couvre les Alpes, ces insipides et monotones figures que chaque été ramène et fait pénétrer jusque dans les solitudes les plus saintes ; véritable plaie de notre génération, qui a juré de dénaturer par sa présence la phy-