Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 2.djvu/432

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
426
REVUE DES DEUX MONDES.

époque que datent les liaisons de M. Guizot avec le vieux parti royaliste qui le porta aux affaires dès les premiers jours de la restauration. Chez M. Suard se trouvait aussi Mlle Pauline de Meulan, l’une des femmes les plus distinguées et les plus instruites de ce temps, dont l’esprit était assez solide et assez vif pour suffire à la dévorante activité que demande la profession de journaliste. Mlle de Meulan aidait à la rédaction de plusieurs journaux, et particulièrement du Publiciste, qui lui dut une partie de son succès. Elle exerçait dans cette feuille le rude métier de critique, et elle remplissait ses fonctions avec une vigueur et une énergie dont ne l’eussent pas soupçonnée ceux qui avaient pu apprécier la douceur et la bonté de son caractère. Il eût été toutefois difficile d’écrire avec plus de netteté et plus de charme. Seulement on remarque dans ses écrits de ce temps une certaine rigueur pédantesque qui se reproduisait, dit-on, dans sa conversation, où le sérieux journaliste faisait quelquefois tort à la femme aimable et bonne. Les travaux journaliers et multipliés de Mlle de Meulan avaient fini par altérer sa santé, et elle se vit obligée de prendre un repos qui lui était bien nécessaire, mais que l’état de sa fortune lui rendait bien fatal. Sa famille, dont elle était le soutien, était sur le point de se trouver sans ressource, lorsqu’un jour elle reçut une lettre d’une personne inconnue, qui lui offrait d’écrire pour elle dans le Publiciste jusqu’au moment où elle pourrait reprendre la plume. Cette lettre n’était pas signée, mais elle était conçue d’un ton de franchise et de bonne grâce, et elle renfermait un article fort bien écrit, fort bien pensé, dont, par une singulière délicatesse, les vues semblaient empruntées à Mlle de Meulan elle-même, tant elles étaient un reflet fidèle de sa conversation. L’article fut inséré dans le Publiciste, et Mlle de Meulan, touchée de ce procédé, ne fit pas difficulté d’y mettre l’initiale P qui la désignait. Dès-lors, presque chaque jour, et tant que dura sa maladie, Mlle de Meulan reçut des articles semblables. On pense bien qu’elle fit mille recherches ; dans le salon de M. Suard, on s’épuisa en conjectures, et personne ne soupçonna un jeune homme sérieux qui écoutait tous ces propos sans laisser échapper le moindre sourire. Enfin Mlle de Meulan se décida à écrire à l’inconnu, je ne sais par quelle voie, peut-être dans le Publiciste. Elle supplia l’écrivain ano-