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HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

foule de petites influences et de petites intrigues, d’ingénieuses manœuvres, que M. Guizot n’a jamais négligées quand il a été question de faire triompher ses convictions. C’est une sorte de travail mécanique, qui accompagne toujours chez lui le grand travail intellectuel, et ses rouages sont si compliqués, que je me déclare, sans répugnance, incapable d’en suivre les mouvemens.

Nous trouverons des contradictions singulières dans la vie politique de M. Guizot, mais les hommes tels que M. Guizot veulent être jugés avec quelque ménagement ; on leur doit de chercher à se rendre compte des motifs qui les ont entraînés, et de s’efforcer, autant qu’il est possible, de trouver ces motifs dans un ordre d’idées élevées. En cette circonstance, l’explication la plus honorable, la plus bienveillante que je puisse imaginer, serait d’admettre, comme il y a lieu de le croire en effet, que M. Guizot, habitué par son éducation, et porté par la tournure de son esprit, à rassembler les faits pour en faire ressortir un système, à n’étudier une époque que pour en faire jaillir la pensée qui le domine, à manier à son gré et avec une sorte de despotisme les événemens historiques, à les plier, sans le savoir, sous sa volonté, en est arrivé, dès le commencement de sa carrière, à vouloir traiter de la même façon les hommes et les affaires. M. Guizot se serait créé à toute force un système chaque fois qu’il a été appelé à prendre part aux affaires politiques, ou à les diriger. Il se serait placé à un point de vue vrai ou faux, et il aurait rangé toutes ses idées de manière à ne pas s’écarter de ce point de vue unique. En un mot, la pensée éternelle de M. Guizot, bien que variable dans sa forme et dans ses résultats, est, ce me semble, de constituer ; et comme toutes les personnes qui poussent cette pensée à l’excès, il a du mépris et de la haine pour tout ce qui se constitue sans lui. Ces projets de reconstitution générale de la société ont été tentés par M. Guizot sous toutes les formes. Déjà vers les premières années de la restauration, il avait élaboré, sous l’aile de M. Royer-Collard, une charte composée de quelques milliers d’articles, tellement immense et compliquée, que la première objection qu’on lui fit, était qu’il eût fallu cinq années de législature, rien que pour la discuter. Si, à cette même époque, M. Guizot a signalé son passage dans plusieurs ministères par des projets de loi, des actes et des discours