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ment qui se servait de moyens pareils : « Vous accusez les masses des dispositions que vous propagez vous-mêmes dans leur sein ; nous repoussons votre accusation comme votre ouvrage. Vous nous traitez toujours d’imprudens ; souffrez que nous vous traitions d’insuffisans. C’est une dure alternative, j’en conviens, que d’avoir à choisir entre l’habileté de quelques hommes et l’aveuglement d’un peuple. Mais permettez-nous de disposer plutôt de vous que de la France, et laissez-nous croire, quand le présent est si peu sûr avec vous, que l’avenir ne serait pas sans ressources, si vous n’en étiez plus chargés. » Ces paroles sont de M. Guizot.

N’allez pas vous alarmer pour la France que vous aimez tant, monsieur. Elle secouera son flanc, et elle renversera les doctrinaires et ceux qui s’accommodent avec eux du pouvoir, comme elle a renversé tant d’autres gens inhabiles qui voulaient la gouverner, ne la connaissant pas. L’école doctrinaire en est encore là. Fondée en quelque sorte dans une pensée monastique comme l’était la congrégation, elle a vécu en elle-même, avec un profond dédain et une indifférence moqueuse pour tout ce qui n’est pas elle, indifférence encore augmentée par l’éclectisme commode que le maître avait arrangé pour son usage. Depuis qu’elle a passé aux affaires, cette indifférence est devenue de la rouerie, et l’on peut dire avec certitude qu’il n’y a plus, à cette heure, aucune théorie dans l’école. Comme on n’y a jamais étudié les besoins de la France et qu’on y méconnaît ses véritables sentimens, on marche en pays inconnu, faisant un pas chaque jour et laissant un jalon derrière soi pour marquer la route, ou, pour mieux dire les doctrinaires ressemblent à ces navigateurs dont Solis a fait l’histoire, qui s’en allaient découvrir des terres au nom du roi d’Espagne, et qui, arrivés au haut d’une montagne, étaient tout à coup éblouis au spectacle d’une mer immense et nouvelle et d’une contrée sans fin. Leur premier mouvement était alors de planter un drapeau pour prendre possession de ces eaux et de cette contrée avant de les connaître, avant de savoir si cette mer était navigable, si cette terre était habitée, sans nul moyen de les conquérir et de les dominer. Beaucoup de ces hardis aventuriers réussirent ; mais ils suivaient des chefs qui manquent, heureusement pour nous, aux doctrinaires. Croyez-moi, ceux-ci n’ont parmi eux ni des Christophe Colomb, ni des Fernand Cortez, ni même des Pizarre.

(West-End Review.)