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— Madame va venir tout-à-l’heure, me dit la vieille branlant la tête, tandis que j’achevais cette prière mentale.

— Madame va venir tout-à-l’heure ! répétai-je.

C’était donc la duègne qui m’avait parlé ! — Je remontais de l’enfer au ciel. Je fis à la bonne dame, à mon tour, une révérence plus profonde encore que n’avait été la sienne. Dans le transport de ma joie, j’eusse été capable, je crois, de l’embrasser !

— Oui, madame va venir, reprit gravement la duègne. Veuillez, seigneur cavalier, prendre patience en goûtant de ces rafraîchissemens.

Et un page qu’elle appela, posa sur un buffet un riche plateau garni de conserves, de biscuits et de flacons de vins.

Je n’avais pas soupé ; sans me faire trop prier, je bus et mangeai un peu, après quoi la vieille se retira avec son page et sa lumière.

Ma situation devenait de moins en moins alarmante. Par san Diego ! me disais-je, on ne traite pas si courtoisement un homme auquel on veut beaucoup de mal. Je n’eus pas, au surplus, le loisir de creuser long-temps cette rassurante réflexion.

La duègne reparut bientôt. Elle était accompagnée, cette fois, non plus de son page, mais d’une dame en basquine noire, à la taille souple et fine, dont je n’eus pas, d’ailleurs, le temps d’apercevoir le visage, car elle détournait la tête en entrant ; et, pour plus de précaution, la maudite vieille, qui avait voilé de sa main la faible lumière de sa bougie, ressortit soudain, refermant la porte sur elle, et la chambre se retrouva plongée dans les ténèbres.

Je m’y serais cru vraiment laissé seul encore, n’eussent été les gros soupirs que j’entendais pousser à trois pas de moi. Le cœur me battait fortement. Je m’étais levé du sopha où j’étais assis. Soudain la dame s’élança vers moi, et, me saisissant par le bras, me força de me rasseoir et se plaça près de moi.

Ses premières agitations s’étaient insensiblement apaisées, car, d’une voix douce et calme, où je reconnus bien celle de ma dame voilée du Prado :

— Don Andres, me dit-elle, croyez-vous franchement que celui qui expose sa vie aussi légèrement que vous l’avez fait ne montre pas ainsi plus de déraison que de tendresse ? Je conçois qu’un violent amour pour une merveilleuse beauté décide un homme de cœur à se mettre en de grands périls. Mais les défier sans avoir de tels motifs, ne serait-ce point pure folie ? Or, vous, quelles raisons sérieuses vous ont déterminé en votre témérité ? Savez-vous seulement pourquoi vous êtes ici ? Savez-vous si je vaux la peine de vos dangers ? Qui vous a dit que j’étais belle ? N’ayant de moi nulle connaissance, vous ne me voulez pas persuader, j’imagine,