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ÉTUDES DE L’ANTIQUITÉ.

déroulaient les choses saillantes et singulières. Décidément Salluste se vouait à l’histoire, et s’y préparait. Le barreau l’avait rebuté, et son dégoût fut si grand, qu’il se priva de cette voie facile et familière aux Romains pour arriver aux honneurs. Le génie de ce jeune homme l’emportait trop vivement ailleurs, et lui rendait trop intolérables les pratiques judiciaires. Le futur émule de Thucydide pouvait-il altérer sa concision merveilleuse, la rapidité divine de son esprit et de son style, les beautés et les formes si sveltes de son récit dans les répétitions et les détours de la faconde de l’avocat, dans les litiges de l’héritage, de la gouttière et de l’hypothèque ? Salluste préféra l’ardeur des luttes politiques et s’y jeta de tout l’élan d’un talent audacieux, neuf, et qu’il n’avait pas encore prouvé à lui-même et aux autres. Un de ses amis, Clodius, avait entrepris de faire payer cher à Cicéron la précipitation irrégulière qui avait mis à mort les amis de Catilina ; Cicéron s’était exilé ; Clodius ne put faire durer long-temps cet exil ; il fut contraint d’assister au retour de son ennemi et au bris des tables d’airain contenant les actes de son tribunat ; il se retira quelque temps du premier plan des affaires ; il renoua sourdement quelques intelligences avec Pompée dont la vanité se blessait de trouver Cicéron plus vain encore que lui ; il poussait aussi Salluste au tribunat, se préparant de cette façon des appuis dans sa brigue de la préture. Salluste fut tribun du peuple en l’an 702 de la république, ayant pour collègues Q. Pompeius Rufus, T. Munatius Plancus, M. Cœlius et Manilius Canianus.

Le consulat et la préture étaient la proie commune et toujours disputée des factions aristocratique et démocratique. Trois hommes se jetaient sur la pourpre consulaire pour se l’arracher, Milon, Hypsœus et Scipion. La brigue fut portée au comble de la violence et de la prodigalité : le sang et l’argent coulaient à flots dans le forum. Les élections devenaient impossibles dans ce conflit de massacres et de corruption, et la république se trouva sans magistrats. Un entre-roi fut nommé. Cependant Milon, s’en allant à Lanuvium sa patrie où il était dictateur, pour l’installation d’un prêtre flamine, rencontra Clodius sur son chemin et ne put résister à la tentation et à la facilité de le tuer. Salluste, plein de colère et de douleur, se joignit à ses collègues Munatius et Rufus pour ven-