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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 2.djvu/60

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compositions du maître, si ces origines existent quelque part ; je m’en tiens à ce que je sais, et ne prendrai pas le souci de compléter mes renseignemens.

Pourtant, malgré toutes ces remarques, la Jane Gray de M. Paul Delaroche menace d’avoir cette année le plus beau succès du salon. Ses figures toutes neuves plaisent aux yeux du plus grand nombre. La coquetterie patiente des accessoires, le chatoiement des couleurs qui, sans être franches et pures, ont au moins pour elles la recherche et la profusion, obtiennent une approbation dont le sens et la cause ne sont pas difficiles à démêler. Quant à la poésie absente, le public ne s’en soucie guère ; il s’inquiète fort peu que la Jane Gray de M. Paul Delaroche soit plutôt théâtrale que dramatique. La foule qui se presse dans les galeries de France ne juge guère par elle-même ; elle s’en rapporte volontiers à quelques parleurs habiles. Or ceux-ci saisissent avec empressement l’occasion d’interpréter les physionomies indécises et les gestes incertains d’une toile qu’ils ont sous les yeux ; ils traitent les peintures incomplètes comme les chanteurs italiens la musique de second ordre, avec une prédilection marquée. Leur mérite et leur faconde éclatent d’autant plus que le champ de l’interprétation est plus large et plus indéfini. Une composition écrite et d’un style arrêté ne va pas à leur éloquence ; ils préfèrent M. Paul Delaroche à Paul Rubens, comme les virtuoses de Milan préfèrent Donizetti à Mozart. Aussi voyez combien de nuances, inaperçues au premier aspect, ils ont devinées dans la figure de Jane Gray ; on ferait un volume de tous les sentimens qu’ils ont découverts dans la physionomie de l’héroïne. Si vous interrogez le petit nombre de personnes hardies qui osent encore mettre de la bonne foi dans leurs émotions et qui ne prennent pas leur tristesse et leur attendrissement de seconde main, elles vous répondront, je m’assure, que la Jane Gray de M. Paul Delaroche les touche médiocrement. Elles ne contesteront pas ce qui est avéré, l’habileté laborieuse de certaines parties de l’exécution ; elles rendront justice à l’ingénieuse disposition de certains détails, mais elles ne pourront se refuser à proclamer l’absence de l’intérêt dramatique.

La Mort du Poussin, par M. Granet, me semble supérieure à