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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 2.djvu/601

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ÉTUDES DE L’ANTIQUITÉ.

le montre animo ingenti ; Cornelius était éloquent, rusé, d’une amitié facile, d’une profondeur merveilleuse dans la dissimulation, généreux, et donnant à deviner au monde s’il avait plus de courage que de bonheur. Cependant Marius est plus grand encore : cet homme avait tout pour lui sauf la naissance ; il avait le talent, l’honnêteté, la science de la guerre, le courage, la modération, le mépris des plaisirs et des richesses, l’avidité de la gloire ; il était resté étranger à la politesse des lettres grecques et des mœurs élégantes de la société patricienne ; il avait inspiré au peuple de Rome un désir fanatique de s’enrôler sous ses drapeaux : Tanta lubido cum Mario eundi plerosque invaserat ! Une fois nommé consul au grand scandale de la noblesse, il tonna contre elle ; il lui reprocha du haut de la tribune de vouloir cumuler les plaisirs de l’indolence et les récompenses du courage, ignaviœ voluptatem ei prœmia virtutis ; il encouragea le peuple à la bravoure, au mépris des fatigues et de la mort ; au surplus, leur dit-il, la lâcheté ne rend personne immortel, etenim ignavia nemo immortalis factus. Salluste n’a mis nulle part plus d’éloquence que dans la bouche du plébéien Marius : il ne peut s’empêcher de traiter avec prédilection l’homme dont son ami César avait relevé les statues et la cause ; et il finit son récit en montrant dans le lointain le triomphe du soldat d’Arpinum sur les Gaulois. Marius, absent, fut nommé consul ; on lui assigna la province des Gaules ; il était alors l’espérance et la force de Rome ; eâ tempestate spes atque opes civitatis in illo sitœ.

Cet harmonieux fragment de l’histoire d’Afrique et de Jugurtha, où les descriptions et les aventures, les faits, les tableaux et les portraits s’enchaînent avec une variété si attrayante, se terminait à peine sous la main de Salluste, quand César fut frappé dans le sénat par Cassius et Brutus. La douleur de l’historien fut amère et sa résolution irrévocable de ne plus se mêler aux affaires d’une république ainsi décapitée de son chef et de sa gloire. Qu’eût-il fait d’ailleurs ? Pouvait-il descendre de l’amitié de César à la faveur d’Antoine ou au soin de flatter le jeune Octave ? Tout autour de lui lui semblait misérable, les phrases inutiles de Cicéron, l’intelligence du vieux parti républicain, les ambitions personnelles du lieutenant et du neveu du dictateur ; il avait assez de son temps ;