Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 2.djvu/658

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
652
REVUE DES DEUX MONDES.

moins une fois, vivre à cet âge d’élan, pauvre clerc accoudé sur son étroite fenêtre, derrière le châssis de toile écrue qui lui servait de vitrage, sérieusement occupé d’étudier Aristote et la pragmatique-sanction ? — Et qui n’a alors comparé avec dédain la mesquine agitation d’une existence d’étudiant de nos jours à cette vie aventureuse et vraiment épique des clercs d’autrefois ? Eh bien ! ce type d’écolier du moyen-âge, le temps ne l’a point entièrement détruit partout. Il existe encore dans nos évêchés de Basse-Bretagne, à Vannes, à Quimper, à Tréguier, à St-Brieuc, partout où les collèges et les séminaires attirent encore les jeunes paysans destinés à recevoir les ordres, et qui, dans la langue du pays, sont désignés sous le nom général de cloarec[1].

Le cloarec ne commence ordinairement ses études qu’à seize ou dix-huit ans. C’est le plus souvent dans toute la force d’une robuste jeunesse qu’il vient s’asseoir sur les bancs de l’école, à côté d’enfans de huit ans, se soumettant à tous les dégoûts, à toutes les railleries qu’entraînent ces instructions tardives. Son costume ne reçoit aucun changement ; mais sa longue chevelure est livrée aux ciseaux, et sa tête est à demi rasée, comme pour indiquer le noviciat à la tonsure cléricale : elle conserve seulement quelques boucles de cheveux qui flottent par derrière sur ses épaules, dernier symbole des rêves mondains qui, chez lui, peuvent surnager au milieu des austères pensées de l’avenir. Sa famille, que le vaniteux espoir de faire un prêtre pousse à tous les sacrifices, ne peut cependant subvenir toujours à toutes ses dépenses. Les objets les plus nécessaires, le papier, les plumes, les livres lui manquent parfois. Dans ce cas, le cloarec devient ingénieux pour suppléer aux ressources qui lui sont refusées. Il obtient les vieux cahiers de ses camarades et écrit dans les interlignes. Il ramasse hors des classes les plumes que le portier a balayées, il copie à la main les ouvrages classiques, et son manuscrit lui tient lieu de livres. Sa vie matérielle n’est ni moins économique, ni moins laborieuse. Réuni à cinq ou six de ses camarades, il loue une mansarde qui lui sert à la fois de salle d’é-

  1. Le Cloarec trégorrois ne reproduit le type que de la partie studieuse des anciens écoliers de Paris. C’est au pays de Vannes que l’on trouve le véritable bazochien, turbulent, buveur, et toujours la main au bâton.