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BELLA UNION.

d’une population industrieuse n’entrait pour rien dans ses vues, de sorte que les pauvres Indiens, en croyant acquérir une patrie, n’étaient à leur insu qu’un instrument dont les partis comptaient se servir pour s’entre-déchirer.

Leurs dissensions éclatèrent en 1829, tandis que l’assemblée nationale, siégeant à Montevideo, rédigeait la constitution de l’état. On avait nommé un président provisoire, homme dévoué à Riveira, qui administrait la république, lorsque Lavalleja le renversa à main armée et s’empara du pouvoir. Sous son administration, qui dura quelques mois, la dissolution de la colonie indienne fut décrétée ; mais Riveira, qui la gouvernait, ne tint aucun compte du décret, et elle continua d’exister, quoiqu’elle eût perdu une partie de ses habitans. Les maladies et la misère les avaient plus que décimés ; d’autres s’étaient enrôlés dans l’armée ou dispersés dans la campagne, pour y vivre de rapine, à l’imitation des gauchos ; quelques-uns, en petit nombre, avaient passé sur la rive droite de l’Uruguay, dans la province de l’Entre-Rios. Ceux qui restaient, en proie à tous les maux imaginables, étaient encore plus à plaindre que lors de mon séjour parmi eux. Riveira n’eut pas de peine à enrôler ces hommes affamés dans la petite armée qu’il organisait alors pour marcher contre son rival ; quand ses préparatifs furent terminés, il se mit en marche, recrutant tout ce qu’il rencontrait de bandits sur sa route, et se présenta aux portes de Montevideo. Le sang allait couler, lorsqu’une députation de l’assemblée alla trouver Riveira et lui fit entendre que la constitution devant être promulguée incessamment, et le gouvernement provisoire devant dès lors cesser ses fonctions, il pouvait, en se donnant la peine d’attendre un peu, devenir bientôt président par la voie légale. Riveira, touché de ces raisons, et sûr d’être élu, grâce à la présence de son armée, consentit à une suspension d’armes, et fut en effet nommé président peu de jours après.

Les Guaranis ne gagnèrent rien à l’élévation au pouvoir de leur prétendu protecteur. Ceux enrôlés dans l’armée retournèrent presque tous à Bella-Union, reconnaissant enfin combien ils avaient été trompés, et disposés à en tirer vengeance. L’occasion se présenta bientôt, et ce fut Lavalleja qui se chargea de la faire naître. Tournant contre son adversaire les armes que ce dernier avait forgées contre lui, il fit soulever, en juin 1832, la population de Bella-Union. Le commandant militaire de la place fut massacré, et les insurgés s’avancèrent dans le sud jusqu’au village du Salto qu’ils livrèrent au pillage. À cette nouvelle, Riveira, celui que les Guaranis nommaient naguère leur libérateur et leur père, se met en marche pour aller les exterminer. Mais à peine a-t-il quitté Montevideo, que la garnison de cette ville se soulève contre lui et proclame Lavalleja pour prési-