cette époque, Mme la duchesse de Duras, récemment mariée, était à Londres ; je ne devais la connaître que dix ans plus tard. Que de fois on passe dans la vie, sans le deviner, à côté de ce qui en ferait le charme, comme le navigateur franchit les eaux d’une terre aimée du ciel qu’il n’a manquée que d’un horizon et d’un jour de voile ! »
Rentrée en France à l’époque du Consulat, et apportant pour soin principal et aliment de tendresse ses deux filles, seuls enfans qu’elle ait jamais eus, elle vécut isolée sous l’Empire, sans jamais paraître à cette cour, le plus souvent retirée à un château en Touraine, toute à l’éducation de ses filles, à la bienfaisance pour ce qui l’entourait, et à la vie de ménage. Simple comme elle était, il semble qu’elle aurait pu s’ignorer toujours. Elle avait un don singulier de se proportionner à chaque chose, à chaque personne, et cela naturellement, sans effort et sans calcul ; elle était très simple avec les simples, peu spirituelle avec les insignifians, non par dédain, mais parce qu’il ne lui venait alors rien de plus vif. Elle racontait qu’on disait souvent d’elle toute jeune : « Claire est très bien, c’est dommage qu’elle ait si peu d’esprit ! » L’absence de prétention était son trait le plus distinctif. Elle ne songeait nullement alors à écrire. Elle lisait peu, mais les bons livres en divers genres, de science quelquefois ou autres ; les poètes anglais lui étaient familiers, et quelques vers d’eux la faisaient rêver. Mariant ainsi cette culture d’esprit aux soins les plus réguliers de sa famille et de sa maison, elle prétendait que cela s’entr’aide, qu’on sort d’une de ces occupations mieux préparé à l’autre, et elle allait jusqu’à dire en plaisantant que d’apprendre le latin sert à faire les confitures. Cependant les plus nobles et les plus glorieuses amitiés se formaient autour d’elle. M. de Chateaubriand lui consacrait des heures, et elle écrivait fréquemment sous sa dictée les grandes pages futures. Dès lors, je crois, elle entretenait avec Mme de Staël un commerce de lettres et des relations qui plus tard, au retour de l’exilée illustre, devaient encore se resserrer. Pour ceux qui n’ont vu que les portraits, il est impossible de ne pas trouver entre ces deux femmes, dont les œuvres sont si différentes de caractère, une grande ressemblance de physionomie, ne serait-ce que dans le noir des yeux et dans la coiffure. Mais l’âme ardente, la faculté