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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

gauche est ronde, vaguement accusée, et ne témoigne pas de la patience de l’auteur aussi clairement que le torse.

Je suis donc loin de penser que M. Cortot détrône cette année les noms déjà populaires et ceux qui promettent de le devenir. À ne considérer que l’ensemble de sa statue, c’est un travail d’une irréprochable nullité. Il règne dans la masse une correction générale et mathématique qui commande d’abord l’attention, mais qui ne peut intéresser long-temps. Ce qui manque au Soldat de Marathon, c’est la vie, l’animation, l’individualité. Or, l’étude attentive des marbres antiques, si persévérante qu’elle soit, atteint rarement à la création ; elle permet tout au plus d’arriver à une marqueterie qui peut séduire quelques esprits négatifs et leur sembler préférable à l’invention et à l’originalité. Mais le nombre de ces esprits diminue heureusement de jour en jour, et l’on commence à comprendre que le statuaire ne peut pas plus se dispenser que le peintre de concevoir et d’inventer ce qu’il exécute. On estime à sa juste valeur l’art de reproduire les morceaux connus, et l’on sait très bien n’accorder le premier rang qu’à ceux qui mettent leur ciseau au service d’une pensée personnelle. Or, M. Cortot n’est pas de ces derniers. C’est pourquoi il faut reléguer son nom parmi les praticiens habiles, et le rayer de la liste des statuaires.

Le groupe de M. Pradier, un Satyre et une Bacchante, n’est pas non plus une invention originale. Il y a dans ce morceau, très remarquable d’ailleurs, bien des parties qui, sans rappeler littéralement les statues antiques, ont cependant avec l’art grec une parenté si intime et si frappante qu’on est forcé de s’expliquer le travail de l’auteur plutôt d’après les lignes dès long-temps gravées dans sa pensée que d’après la nature qu’il avait sous les yeux. Cette fois-ci encore comme dans les précédens ouvrages de M. Pradier, les deux têtes sont nulles. Il semble qu’il ait pris le parti de n’attacher aucune importance à l’achèvement et à l’expression du visage. Sans doute il se rencontre dans la sculpture romaine quelques morceaux d’un rare mérite où les têtes ne signifient rien. Mais je ne crois pas qu’il faille invoquer l’autorité de ces morceaux incomplets. Quel que soit l’âge d’un marbre, il ne faut jamais y admirer que les belles choses. Ceci est une grande trivialité, mais pourra sembler un paradoxe à plusieurs statuaires de nos jours.