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tacle qui lui causait une grande émotion. C’était entre toutes les choses merveilleuses qui viennent ordinairement exciter sa curiosité, une galerie de figures en cire, bibliques et plastiques. On y voyait toute la Genèse, toute l’histoire du monde, tout le déluge. Mais n’admirez-vous pas comme le peuple allemand se sert familièrement de l’expression poétique ? Jamais chez nous un faiseur de figures en cire se serait-il avisé de peindre sur son enseigne ces deux grands mots : bibliques et plastiques ?

Un autre quartier de la ville mérite encore d’appeler l’attention, c’est celui où se réunissent les marchands juifs qui vendent en détail. Ils occupent deux longues lignes de boutiques rangées le long de la promenade. Les pauvres juifs sont ici, comme à peu près dans tout le reste de l’Allemagne, traités avec une grande sévérité. Tandis que pour les autres marchands, la foire est ouverte pendant un grand mois, elle ne l’est pour eux que pendant huit jours. Ils doivent arriver un jeudi, et le jeudi suivant, partir tous sans exception. À Leipzig, il ne doit point y avoir de juifs. On en tolère cependant quelques-uns qui y demeurent depuis long-temps, mais ils ne sont pas citoyens. Ils ne jouissent d’aucun droit de bourgeoisie ; la police peut les renvoyer, quand bon lui semble, sans autre forme de procès. Ces jours derniers, on agitait dans la ville une grande question : cinq marchands juifs ont demandé à s’établir à Leipzig, et pour première garantie, ils apportent avec eux une réputation intacte dans le commerce, et une fortune de dix millions de thalers (environ quarante millions de francs). La question a d’abord été soumise au sénat de la ville, qui, considérant le bon renom de ces juifs, et probablement aussi leurs quarante millions, n’a pas trouvé d’inconvénient à ce qu’ils fussent admis provisoirement à Leipzig. Elle a été ensuite portée devant le gouvernement qui a donné les mêmes conclusions, et maintenant on la discute à la chambre des députés. On pense que le permis de séjour leur sera accordé, à condition qu’en cas de faillite ils se rendent solidaires l’un de l’autre. Singulière chose cependant que ces préjugés plus forts que l’esprit de civilisation, ces idées d’intolérance dans la Saxe, dans le pays qui le premier a demandé la tolérance et proclamé la liberté religieuse.

Les foires de Leipzig ont beaucoup perdu de leur importance depuis que l’entrée des produits des fabriques étrangères a été interdite en Russie et en Pologne. Autrefois, les Russes et les Polonais y arrivaient comme acheteurs, avec des sommes énormes ; maintenant ils n’y viennent plus, ou y viennent comme vendeurs, ce qui n’est nullement la même chose. Ces foires (si l’on en excepte celle de Noël) sont cependant encore les premières de l’Allemagne. Leipzig l’emportera toujours sur les autres villes, par sa position centrale, par sa grande facilité de communications, par l’es-