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avant que ma voix le chantât, troublait comme un nuage orageux ma raison obscurcie, et qui, lorsque je le chantais, retentissait à mes propres oreilles comme le cri aigu des hiboux… de ce poème qui a été tissu dans la nuit, semblable au retentissement du râle d’un mourant, qui, bien que faible, porte la terreur jusque dans la moelle des os. »

Maintenant voulez-vous savoir ce que c’est que ce poème ? je vais vous le dire en deux mots.

Un paysan suisse habite avec son père une des cimes les plus hautes et les plus sauvages des Alpes ; le besoin d’une compagne se fait sentir au jeune Kuntz, et malgré le vieillard, il épouse Trude, fille d’un pasteur du canton de Berne, qui n’a rien laissé en mourant que de vieux livres, de longs sermons, et une belle fille.

Le vieux Kuntz voit avec regret entrer une maîtresse dans la maison dont il est le maître ; de là des querelles intérieures entre le beau-père et la bru, querelles dans lesquelles le mari, blessé dans la personne de sa femme, s’aigrit de jour en jour contre son père.

Un soir, c’était le 24 février, il revient joyeux d’une fête donnée à Louëche. Il rentre, la gaîté au front, la chanson à la bouche. Il trouve le vieux Kuntz qui gronde et Trude qui pleure. Le malheur intérieur veillait à la porte, dont il vient de franchir le seuil.

Plus il avait de joie dans le cœur, plus il a maintenant de colère. Cependant son respect pour le vieillard lui ferme la bouche ; l’eau lui coule du front ; il mord ses poings serrés ; son sang s’allume, et pourtant il se tait. Le vieillard s’emporte de plus en plus.

Alors le fils le regarde en riant de ce rire amer et convulsif de damné, prend une faux pendue à la muraille : — L’herbe va bientôt croître, dit-il, il faut que j’aiguise cet instrument. Le cher père n’a qu’à continuer de gronder, je vais l’accompagner en musique. — Puis tout en aiguisant sa faux à l’aide d’un couteau, il chantait une jolie chansonnette des Alpes fraîche et naïve, comme une de ces fleurs qui s’ouvrent aux pieds d’un glacier :


Un chapeau sur la tête,
De petites fleurs dessus,
Une chemise de berger,
Avec de jolis rubans.