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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

d’agir comme bon lui semblerait. Il jura que, si telle était la volonté de Dieu, il ne les séparerait point[1]. Quelqu’ambigus que fussent les termes de ce serment, les réfugiés s’en contentèrent, et, moitié par lassitude, moitié par persuasion, ils sortirent de l’enceinte privilégiée à laquelle l’église de Saint-Martin de Rouen communiquait son droit d’asile. Hilperik, un peu rassuré par la contenance soumise de son fils, retint prudemment sa colère et ne laissa rien deviner de ses soupçons ; il embrassa même les deux époux et se mit à table avec eux, affectant à leur égard un air de bonhomie paternelle. Après avoir passé de la sorte deux ou trois jours dans une parfaite dissimulation, il emmena subitement Merowig, et prit avec lui le chemin de Soissons, laissant Brunehilde à Rouen sous une garde plus sévère[2].

À quelques lieues en avant de Soissons, le roi de Neustrie et son jeune compagnon de voyage furent arrêtés par les nouvelles les plus sinistres. La ville était assiégée par une armée d’Austrasiens ; Fredegonde, qui y séjournait en attendant le retour de son mari, avait à peine eu le temps de prendre la fuite avec son beau-fils Chlodowig et son propre fils encore au berceau. Des récits de plus en plus positifs ne laissèrent aucun doute sur les circonstances de cette attaque inattendue. C’étaient les transfuges d’Austrasie, et à leur tête Godewin et Sigoald, qui, abandonnant Hilperik pour le jeune roi Hildebert ii, sur le point de rentrer dans leur pays, signalaient cet acte de résipiscence par un coup de main audacieux contre la capitale de la Neustrie. Leur armée peu nombreuse se composait surtout d’habitans de la campagne rémoise, gens turbulens qui, au premier bruit d’une guerre avec les Neustriens, passaient la frontière pour aller faire du butin sur le territoire

  1. Rex verò adveniens, cùm in multis ingeniis eos exindè auferre niteretur, et illi dolosè eum putantes facere, non crederent, juravit eis dicens : Si, inquit, voluntas Dei fuerit, ipse hos separare non conaretur. Greg. Turon. Hist., lib. v, pag. 233.
  2. Hæc illi sacramenta audientes, de basilicâ egressi sunt, exosculatisque et dignanter acceptis, epulavit cum eis. Post dies verò paucos, adsumto secum rex Merovecho, Suessionas rediit. Ibid.