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de l’ordre et de la paix publique. Ils en voulaient surtout au Romain Lupus, duc de Champagne ou de la campagne rémoise, administrateur sévère et vigilant, nourri des vieilles traditions du gouvernement impérial[1]. Presque chaque jour, les domaines de Lupus étaient dévastés, ses maisons pillées et sa vie menacée par la faction du duc Raukhing. Une fois, Ursio et Bertefred, suivis d’une troupe de cavaliers, fondirent sur lui et sur ses gens, aux portes même du palais où le jeune roi logeait avec sa mère. Attirée par le tumulte, Brunehilde accourut, et, se jetant avec courage au milieu des cavaliers armés, elle cria aux chefs des assaillans : « Pourquoi attaquer ainsi un homme innocent ? Ne faites point ce mal, n’engagez pas un combat qui serait la ruine du pays. » — « Femme, lui répondit Ursio avec un accent de fierté brutale, retire-toi ; qu’il te suffise d’avoir gouverné du vivant de ton mari ; c’est ton fils qui règne maintenant, et c’est notre tutelle et non la tienne qui fait la sûreté du royaume. Retire-toi donc, ou nous allons t’écraser sous les pieds de nos chevaux[2]. »

Cette situation des choses en Austrasie répondait mal aux espérances dont s’était bercé Merowig. Son illusion ne fut pas de longue durée. À peine arrivé à Metz, capitale du royaume, il reçut du conseil de régence l’ordre de repartir sur-le-champ, si toutefois même il lui fut permis d’entrer dans la ville. Les chefs ambitieux qui traitaient Brunehilde comme une étrangère sans droit et sans pouvoir, n’étaient pas gens à supporter la présence d’un mari de cette reine, qu’ils craignaient en feignant de la mépriser. Plus elle fit d’instances et de prières pour que Merowig fut accueilli avec hospitalité et pût vivre en paix auprès d’elle, plus ceux qui gou-

  1. Illis consulibus romana potentia fulsit ;
    Te duce, sed nobis hic modò Roma redit,
    Justitià florente, favent, te judice, leges,
    Causarumque æquo pondere libra manes…

    (Fortunati Pictav. episc. carmen de Lupo duce ; apud Script, rerum francic., tom. ii, pag. 514.

  2. Hæc illà loquente, respondit Ursio : « Recede à nobis, ô mulier ; sufficiat tibi sub viro tenuisse regnum. Nunc autem filius tuus regnat, regnumque ejus non tuâ, sed nostrâ tuitione salvatur. Tu verô recede à nobis, ne te ungulæ equorum nostrorum cum terrâ confodiant. » Greg. Turon. Hist., lib. vi, pag. 267.