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REVUE DES DEUX MONDES.

« Vous avez la faculté d’éviter tout dommage en soumettant d’avance les manuscrits des ouvrages nouveaux à la division des beaux arts et des théâtres. Les pièces qui n’auront pas été soumises seront interdites purement et simplement, lorsque par leur contenu elles mériteront l’application du décret, et vous ne pourrez imputer qu’à vous seul les dommages qui résulteront d’une mise en scène devenue inutile.

« Agréez, etc., le chef de la division des beaux arts et des théâtres,

« Cavé. »


La charte de 1830, la charte-vérité, a eu beau déclarer que la censure ne pourrait être rétablie sous aucune forme, voici un simple chef de division qui ne craint pas d’apposer son nom à une telle mesure. La censure n’est pas rétablie, mais les manuscrits seront communiqués par complaisance aux agens du ministère, qui en bifferont tout ce qui leur déplaira. On peut s’en rapporter à ceux qui rempliront ce honteux office du soin de causer des embarras sans nombre aux directeurs qui ne se soumettront pas à envoyer leurs pièces de théâtre au ministère. Ne fût-ce que le besoin de se rendre nécessaires, leur activité et leur zèle seraient stimulés suffisamment. En vérité, la censure de la restauration était plus tolérable que celle-ci, et on veut la faire regretter sans doute. Celle-là était franche du moins, ceux qui l’exerçaient ne se masquaient pas le visage, et livraient leur face au mépris public. Ils avaient le courage de leur vil métier, et ils ont supporté avec une sorte d’intrépidité la fatale publicité qui s’est attachée à leur personne. On peut dire que de toutes les tentatives de censure qui ont été faites, celle-ci est la plus honteuse, et nous plaignons sincèrement M. Cavé d’y avoir accolé son nom. M. Cavé n’était pas sorti assez glorieusement des récentes affaires de l’Opéra pour se permettre une telle fredaine. Nous doutons qu’elle lui soit pardonnée, même par ceux qui lui portent le plus d’intérêt ; mais nous doutons encore plus que cette tentative puisse réussir. Quelles que soient les turpitudes de ce régime, celle-ci est trop forte pour avoir son cours. Au reste, on doit remarquer comme une singularité que le chef de division qui a signé cette circulaire, par laquelle on remet en vigueur un des plus tristes décrets de l’empire, et qui porte un si rude coup à l’art dramatique, est l’un des auteurs des Soirées de Neuilly, où le despotisme de l’empire a été si bien tourné en ridicule, et qu’il est en même temps un auteur dramatique peu connu, il est vrai, peu digne de l’être, mais ayant après tout produit quelques ouvrages, entre autres les paroles du ballet de la Tentation.

On a eu enfin quelques détails sur l’embarquement mystérieux de Brest, nous pouvons les compléter. L’homme qu’on a embarqué avec sa