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et qu’il n’eût tenu qu’à lui d’épouser de préférence à la fortune et aux honneurs. Ce fut comme un reflet de bonheur pour lui que la lecture de ce journal. Espérant respirer mieux encore le parfum de cet amour aux lieux où il s’était jadis allumé, il voulut revoir Ober Wesel et la maison qu’avait habitée Blanche.

Il s’en fut donc à Ober Wesel. Mais là le reprirent les désappointemens. La maison de Blanche n’existait plus. Il en fit bien rebâtir une dans le parc d’un château qu’il acheta, mais on lui fabriqua une maison toute neuve avec un chaume tout neuf.

Il avait ordonné qu’on plantât autour de ces aubépines, où il se piquait autrefois à cueillir des bouquets pour sa maîtresse, et qu’on semât par les jardins de ces pâquerettes et de ces barbeaux bleus qu’il lui avait tant de fois tressés en couronnes.

Mais, grâce à l’habileté de son jardinier, l’aubépine se trouva sans épines. Au lieu de pâquerettes blanches, il fleurit des pâquerettes roses doubles ; les barbeaux étaient de toutes les couleurs, mais il n’y en eut pas un bleu.

Conrad fut plus malheureux que jamais. Il allait se casser la tête quand il se rappela soudain un commencement d’air qu’il avait entendu chanter par Blanche. Pour le coup il se crut près de revivre ? Mais ce lui fut là encore une sensation incomplète comme toutes celles qu’il avait évoquées ! Cet air, il ne pouvait l’achever ! Il en restait toujours au milieu de la cinquième mesure, au Fa Dieze. Oh ! s’il allait plus loin ! s’il finissait cette mélodie, sa jeunesse, ses dix-huit ans, sa Blanche, son âme, tout lui serait rendu ! Il n’épargna rien pour ressaisir ces notes qui s’étaient enfuies de sa mémoire. Il les demanda à prix d’or à celle de tous les habitans du pays.

Il abandonna sa maison d’Ober Wesel afin de s’en aller courir le monde à la recherche de son air et compulser toutes les collections de musique de l’Allemagne. Ce fut en vain. En ces impuissans efforts il usa seulement le peu de vie qui lui restait. Enfin, sentant la mort venir, il fit un testament par lequel il instituait Blanche sa légataire universelle si elle existait encore ; puis, couché dans son lit, à moitié pris déjà par le râle, il s’avisa de prier Athanase, son domestique, de lui chanter une chanson en guise de requiem ou de de profundis.

Athanase psalmodia en pleurant un air qui était justement celui que le baron n’avait pu jamais finir.

— Sais-tu donc cet air ? dit Conrad.

— Oui, monsieur le baron, reprit Athanase.

— Alors chante-le au nom du ciel et presse la mesure pour cause, cria le baron !