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UN VAISSEAU À LA VOILE.

absorbait les forces matérielles et morales de l’Europe ; il ne lui en restait plus à consacrer à de lointaines et hasardeuses entreprises. Gênes, Venise, couvrirent la Méditerranée de leurs flottes, attirèrent à elles les richesses d’une partie du monde, rouvrirent avec les Indes les communications des Romains ; mais elles se contentèrent de suivre les chemins tracés par ceux-ci. Ce n’est guère qu’à la suite des croisades, ces grandes et poétiques guerres où vingt peuples vinrent se combattre autour du tombeau de Christ, que les relations nouées par les chrétiens avec l’intérieur de l’Asie mirent les imaginations sur la voie de découvertes nouvelles. Les récits d’un Vénitien, Marco Polo, qui s’était aventuré jusqu’en Chine, firent naître chez beaucoup d’esprits aventureux le désir de pénétrer dans les pays du Levant. Ses récits merveilleux enflammaient toutes les imaginations. Mille bruits circulaient en outre sur ce fabuleux empire du prêtre Jean ; c’était à qui raconterait le plus de choses étranges de ce mystérieux royaume dont aucun voyageur ne pouvait déterminer la position géographique, et qui flottait, pour ainsi dire, au gré du caprice de chacun, de l’extrémité de l’Afrique aux murs de la Chine. Mais ce vague même, ce manque de notions positives, était un attrait tout-puissant pour entraîner les esprits de ce côté. Aussi dès la fin du xiiie siècle, un grand mouvement commercial et industriel se dirigeait déjà vers l’Orient.

À cette époque, à une date demeurée incertaine, et dans une petite ville d’Italie, un phénomène singulier était observé. On remarqua qu’une aiguille aimantée, placée sur un pivot de manière à demeurer mobile, se tournait vers le nord ; l’écartait-on de cette direction, elle y revenait aussitôt qu’elle se trouvait de nouveau abandonnée à elle-même. Mille fois répétée, l’expérience amena mille fois le même résultat. La boussole était découverte. L’œil de l’observateur avait surpris quelque chose de ces innombrables affinités, de ces sympathies secrètes qui unissent par des liens invisibles toutes les parties de l’univers matériel ; l’une des plus grandes lois de la nature, l’un de ses mystères les plus cachés, les plus féconds, venait de nous être révélé. Un fil d’Ariane se trouvait tout à coup placé dans la main de l’homme, au moyen duquel il pouvait se hasarder, sans crainte de s’égarer, dans les détours les plus compliqués du labyrinthe du monde. Une voix s’élevait qui, jusqu’à