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DE L’ABSOLUTISME ET DE LA LIBERTÉ.

voies, la tête haute, le front serein, l’œil fixé sur l’avenir, sanctuaire radieux où la Providence a déposé les biens promis à ses efforts persévérans. La lutte engagée entre ces deux systèmes devient chaque jour plus vive. D’un côté, sont les peuples épuisés de souffrance et de patience, ardens de désir et d’espoir, émus jusqu’au fond des entrailles par l’instinct long-temps endormi de tout ce qui fait la dignité et la grandeur de l’homme, puissans de leur foi en la justice, de leur amour pour la liberté, qui, bien comprise, est l’ordre véritable, de leur volonté ferme de la conquérir ; de l’autre, sont les pouvoirs absolus avec leurs soldats et leurs agens de toute sorte, les ressources publiques, l’or, le crédit, et les innombrables avantages d’une organisation dont les élémens se tiennent, s’enchaînent, s’appuient les uns les autres, tandis qu’en dehors d’elle et par elle tout est isolé, comprimé, n’a de mouvement qu’entre les sabres de deux gendarmes, de parole qu’entre les oreilles de deux espions.

Rien, au premier coup d’œil, ne semble plus inégal que les forces respectives de ces camps opposés. Mais il faut observer, d’une part, que plus les armées sont nombreuses, plus elles sortent immédiatement du peuple et ont de pensées, de vœux, de sympathies communes avec lui ; peuple enfin elles-mêmes, en très grande partie, et, quoi qu’on essaie de leur persuader, n’ayant en définitive d’autres intérêts que les siens, il est impossible qu’elles soient long-temps encore un instrument passif entre les mains de ses oppresseurs ; tandis que, d’une autre part, les excessives dépenses qu’exige l’entretien de ces armées, amenant tôt ou tard la banqueroute universelle qui menace chaque jour de plus près tous les états européens, le moment viendra où ces énormes masses d’hommes, rassemblées dans le but d’étayer la tyrannie, devront nécessairement être dissoutes, faute de pouvoir les maintenir sur pied. L’expérience d’ailleurs prouve que, dans la lutte entre deux forces, l’une matérielle, l’autre morale, celle-ci à la longue triomphe toujours ; or, la force morale est tout entière du côté des peuples. Il suffit, pour s’en convaincre, de considérer en eux-mêmes le système de liberté que les peuples défendent, et le système d’absolutisme que les souverains ont entrepris de faire prévaloir à leur profit.