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langage de l’homme de pierre des Açores, inintelligibles pour tous, eurent-ils un sens pour lui seul ? L’histoire n’a pour tout cela que des conjectures appuyées de plus ou moins de probabilité ; mais ce qui semble en avoir davantage encore, c’est que toutes ces circonstances ne devaient être aux yeux de Colomb qu’autant d’incidens d’assez peu d’importance, propres sans doute à le confirmer dans sa résolution une fois prise, nullement à la lui inspirer. La source d’où découlait cette résolution appartenait à un tout autre ordre de faits, d’idées ou de sentimens. Colomb se disait que la terre étant bien réellement ronde, ainsi que la science l’enseignait, il n’y avait nul doute à faire qu’en naviguant à l’Occident, on ne finît par arriver aux contrées de l’Orient ; il se disait encore qu’avec le secours de l’aiguille aimantée, le navigateur cessait d’être astreint à ne pas s’écarter des côtes, et que cette indication perpétuelle du nord ne pouvait manquer de lui enseigner la route à suivre au milieu des mers désertes et inexplorées, aussi bien que si ces mers eussent été sillonnées par des milliers de navires. Ces choses, tout le monde les savait sans doute, mais nul que Colomb n’avait eu jusqu’alors l’audacieuse pensée de tenter de les faire descendre de la sphère spéculative où elles étaient reléguées dans celle de l’expérience et de la pratique. Cette pensée ne pouvait venir qu’à l’un de ces hommes dont l’intelligence habite un ordre d’idées et de sentimens singulièrement élevé. Il fallait aussi que cet homme put apporter dans les régions de la science humaine ce don merveilleux de la foi qui, dans un ordre de choses, fait croire non pas seulement ce que l’on voit et ce que l’on touche, mais bien, au contraire, ce qui confond notre raison et ne tombe sous aucun de nos sens ; sublime et toute puissante faculté, qui fut l’un des traits distinctifs du génie de Colomb, et qui donne à tout son caractère une majestueuse et magnifique unité. On sait qu’en Colomb la foi religieuse ne le cédait point en ardeur et en sincérité à la foi scientifique.

Ce Colomb, que le xviiie siècle se représentait comme une espèce d’esprit fort et de philosophe, dans la grande entreprise qu’il conçut, se proposait, avant toutes choses, la gloire et la propagation de la religion catholique. S’il se montrait impatient de débarquer en Orient, c’est qu’il l’était réellement d’ouvrir au zèle des missionnaires une carrière et des chemins nouveaux. Faisant aux peuples