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pelet dans ses mains jointes, paraissait prier avec beaucoup de ferveur. Cet homme était le donataire du tableau, qui l’avait fait faire pour une église de Huesca. Les Morisques mirent le feu à la ville ; l’église fut détruite ; mais, par miracle, le tableau fut conservé. Le comte Marana l’avait rapporté et en avait décoré l’oratoire de sa femme. Le petit Juan, toutes les fois qu’il entrait chez sa mère, demeurait long-temps immobile en contemplation devant ce tableau qui l’effrayait et le captivait à la fois. Il ne pouvait surtout détacher ses yeux d’un homme dont un serpent paraissait ronger les entrailles, pendant qu’il était suspendu au-dessus d’un gril ardent au moyen d’hameçons de fer qui l’accrochaient par les côtes. Il tournait les yeux avec anxiété du côté du soupirail, et semblait demander au donataire des prières pour l’arracher à tant de souffrances. La comtesse ne manquait jamais d’expliquer à son fils que ce malheureux subissait ce supplice, parce qu’il n’avait pas bien su son catéchisme, parce qu’il s’était moqué d’un prêtre, ou qu’il avait été distrait à l’église. L’âme qui s’envolait vers le paradis, c’était l’âme d’un parent de la famille de Marana, qui avait sans doute quelques peccadilles à se reprocher ; mais le comte Marana avait prié pour lui, il avait beaucoup donné au clergé pour le racheter du feu et des tourmens, et il avait eu la satisfaction d’envoyer au paradis l’âme de son parent sans lui laisser le temps de beaucoup s’ennuyer en purgatoire. — « Pourtant, Juanito, ajoutait la comtesse, je souffrirai peut-être un jour comme cela, et je resterais des millions d’années en purgatoire si tu ne pensais pas à faire dire des messes pour m’en tirer ! Comme il serait mal de laisser là la mère qui t’a nourri ! » Alors l’enfant pleurait, et s’il avait quelques réaux dans sa poche, il s’empressait de les donner au premier quêteur qu’il rencontrait porteur d’une tirelire pour les ames du purgatoire.

S’il entrait dans le cabinet de son père, il voyait des cuirasses faussées par des balles d’arquebuse, un casque que le comte Marana portait à l’assaut d’Alméria, et qui gardait l’empreinte du tranchant d’une hache d’armes musulmane ; des lances, des sabres mauresques, des étendards pris sur les infidèles décoraient cet appartement.

— Ce cimeterre, disait le comte, je l’ai enlevé au cadi de Vejer,