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était fort habile à tourner rapidement les coins de rues et à se jeter dans les allées étroites, tandis que son compagnon, plus novice, avait grand’peine à le suivre. L’haleine commençait à leur manquer, lorsqu’au bout d’une rue, ils rencontrèrent un groupe d’étudians qui se promenaient en chantant et jouant de la guitare. Aussitôt que ceux-ci se furent aperçus que deux de leurs camarades étaient poursuivis, ils se saisirent de pierres, de bâtons et de toutes les armes possibles. Les archers, tout essoufflés, ne jugèrent pas à propos d’entamer l’escarmouche. Ils se retirèrent prudemment, et les deux coupables allèrent se réfugier et se reposer un instant dans une église voisine.

Sous le portail, don Juan voulut remettre son épée dans le fourreau, ne trouvant pas convenable, ni chrétien, d’entrer dans la maison de Dieu une arme à la main. Mais le fourreau résistait, la lame n’entrait qu’avec peine ; bref, il reconnut que l’épée qu’il tenait n’était pas la sienne. Don Garcia, dans sa précipitation, avait saisi la première épée qu’il avait trouvée à terre ; et c’était celle du mort ou d’un de ses acolytes. Le cas était grave ; don Juan en avertit son ami qu’il avait appris à regarder comme de bon conseil.

Don Garcia fronça le sourcil, se mordit les lèvres, tordit les bords de son chapeau, se promena quelques pas, pendant que don Juan, tout étourdi de la fâcheuse découverte qu’il venait de faire, était en proie à l’inquiétude autant qu’aux remords. Après un quart d’heure de réflexion, pendant lequel don Garcia eut le bon goût de ne pas dire une seule fois : « Pourquoi laissiez-vous tomber votre épée ? » don Garcia prit don Juan par le bras et lui dit : « Venez avec moi, je tiens votre affaire. »

Dans ce moment un prêtre sortait de la sacristie de l’église et se disposait à gagner la rue ; don Garcia l’arrêta.

— N’est-ce pas au savant licencié Gomez que j’ai l’honneur de parler ? lui dit-il en s’inclinant profondément.

— Je ne suis pas encore licencié, répondit le prêtre évidemment flatté de passer pour un licencié. Je m’appelle Manuel Tordoya, fort à votre service.

— Mon père, dit don Garcia, vous êtes précisément la personne à qui je désirais parler ; c’est d’un cas de conscience qu’il s’agit, et, si la renommée ne m’a pas trompé, vous êtes auteur de ce fa-