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LES ÂMES DU PURGATOIRE.

lui, qui eût vu cette tache ; qu’au surplus sa nourrice avait coutume de lui dire que de tels signes portaient bonheur.

Le soir que j’ai dit, don Juan étant venu au rendez-vous d’assez mauvaise humeur, revit le signe en question, qui lui parut encore plus grand que les autres fois. — C’est parbleu la représentation d’un gros rat, se dit-il à lui-même, en le considérant. En vérité, c’est une monstruosité ! C’est un signe de réprobation comme celui dont fut marqué Caïn. Il faut avoir le diable au corps pour faire sa maîtresse d’une pareille femme ! — Il fut maussade au dernier point. Il querella sans sujet la pauvre Teresa, la fit pleurer, et sortit enfin à l’aube sans vouloir l’embrasser. Don Garcia, qui sortait avec lui, marcha quelque temps sans parler ; puis, s’arrêtant tout d’un coup :

— Convenez, don Juan, dit-il, que nous nous sommes bien ennuyés cette nuit. Pour moi, j’en suis encore excédé, et j’ai bien envie d’envoyer une bonne fois la princesse à tous les diables !

— Vous avez tort, dit don Juan, dona Fausta est une charmante personne, blanche comme un cigne, et elle est toujours de bonne humeur. Et puis elle vous aime tant ; en vérité vous êtes bien heureux.

— Blanche, à la bonne heure ; je conviens qu’elle est blanche, mais elle n’a pas de couleurs ; et à côté de sa sœur elle semble un hibou auprès d’une colombe. C’est vous qui êtes bien heureux.

— Comme cela, répondit don Juan. La petite est assez gentille, mais c’est un enfant, et il n’y a pas à causer raisonnablement avec elle. Elle a la tête farcie de romans de chevalerie, et elle s’est fait sur l’amour les opinions les plus extravagantes. Vous ne vous faites pas d’idée de son exigence.

— C’est que vous êtes trop jeune, don Juan, et vous ne savez pas dresser vos maîtresses. Une femme, voyez-vous, est comme un cheval. Si vous lui laissez prendre de mauvaises habitudes, si vous ne lui persuadez pas que vous ne lui pardonnez aucun caprice, jamais vous n’en pourrez rien obtenir.

— Dites-moi, don Garcia, traitez-vous vos maîtresses comme vos chevaux ? Employez-vous souvent la gaule pour leur faire passer leurs caprices ?

— Rarement, mais je suis trop bon. Tenez, don Juan, voulez-