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LES ÂMES DU PURGATOIRE.

Le capitaine Gomare, charmé de leur bonne mine, les traita bien et selon leurs goûts, c’est-à-dire qu’il les employa dans toutes les occasions périlleuses. La fortune leur fut favorable, et là où beaucoup de leurs camarades trouvèrent la mort, ils ne reçurent pas une blessure et se firent remarquer des généraux. Ils obtinrent chacun une enseigne le même jour. Dès ce moment, se croyant sûrs de l’estime et de l’amitié de leurs chefs, ils avouèrent leurs véritables noms et reprirent leur train de vie ordinaire, c’est-à-dire qu’ils passaient le jour à jouer ou à boire, et la nuit à donner des sérénades aux plus belles dames des villes où ils se trouvaient en garnison pendant l’hiver. Ils avaient reçu de leurs parens leur pardon, ce qui les toucha médiocrement, et des lettres de crédit sur des banquiers d’Anvers. Ils en firent bon usage. Jeunes, riches, braves et entreprenans, leurs conquêtes furent nombreuses et rapides. Je ne m’arrêterai pas à les décrire ; qu’il suffise au lecteur de savoir que lorsqu’ils voyaient une jolie femme, tous les moyens leur étaient bons pour l’obtenir. Promesses, sermens, n’étaient qu’un jeu pour ces indignes libertins ; et si des frères ou des maris trouvaient à redire à leur conduite, ils avaient pour leur répondre de bonnes épées et des cœurs impitoyables.

La guerre recommença avec le printemps. Dans une escarmouche qui fut malheureuse pour les Espagnols, le capitaine Gomare fut mortellement blessé. Don Juan, qui le vit tomber, accourut auprès de lui et appela quelques soldats pour l’emporter ; mais le bon capitaine, rassemblant ce qui lui restait de forces, lui dit : Laissez-moi mourir ici. Je sens que je n’irai pas loin. Autant vaut mourir ici qu’une demi-lieue plus loin. Gardez vos soldats ; ils vont être assez occupés, car je vois les Hollandais qui s’avancent en force. — Enfans, ajouta-t-il en s’adressant aux soldats qui s’empressaient autour de lui, serrez-vous autour de vos enseignes et ne vous inquiétez pas de moi.

Don Garcia survint dans ce moment, et lui demanda s’il n’avait pas quelque dernière volonté qui pût être exécutée après sa mort.

— Que diable voulez-vous que je veuille dans un moment comme celui-ci ?… Il parut se recueillir quelques instans. — Je n’ai jamais beaucoup songé à la mort, reprit-il, et je ne la croyais pas si prochaine… Je ne serais pas fâché d’avoir auprès de moi quelque