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— Dieu, répondit don Torribio.

— Dieu ? C’est vrai, il n’y a pas de religieuse. Morbleu ! je te remercie de m’avoir averti. Eh bien ! je te jure ma foi de gentilhomme qu’avant qu’il soit un mois il sera sur ma liste, avant le pape, et que je te ferai souper ici avec une religieuse. Dans quel couvent de Séville y a-t-il de jolies nonnes ?

Quelques jours après, don Juan était en campagne. Il se mit à fréquenter les églises, s’agenouillant fort près des grilles qui séparent les épouses du Seigneur des autres fidèles. Là il jetait ses regards effrontés sur ces vierges timides, comme un loup entré dans une bergerie cherche la brebis la plus grasse pour l’immoler la première. Il eut bientôt remarqué, dans l’église de N. D. du Rosaire, une jeune religieuse d’une beauté ravissante, que relevait encore un air de mélancolie répandu sur tous ses traits. Jamais elle ne levait les yeux, ni ne les tournait à droite ou à gauche ; elle paraissait entièrement absorbée par le divin mystère qu’on célébrait devant elle. Ses lèvres remuaient doucement, et il était facile de voir qu’elle priait avec plus de ferveur et d’onction que toutes ses compagnes. Sa vue rappela à don Juan d’anciens souvenirs. Il lui sembla qu’il avait vu cette femme ailleurs, mais il lui était impossible de se rappeler en quel lieu et en quel temps. Tant de portraits étaient plus ou moins bien gravés dans sa mémoire, qu’il lui était impossible de ne pas faire de confusion. Il revint deux jours de suite dans l’église et se plaça toujours au même lieu, sans pouvoir parvenir à faire lever les yeux à la sœur Agathe. Il apprit que tel était son nom.

La difficulté de triompher d’une personne si bien gardée par sa position et sa modestie ne servit qu’à irriter les désirs de don Juan. Le plus important, et il semblait aussi le plus difficile, c’était d’être remarqué. Sa vanité lui persuadait que s’il pouvait seulement attirer l’attention de la sœur Agathe, la victoire était plus qu’à demi gagnée. Voici l’expédient dont il s’avisa pour faire lever les yeux de cette belle personne. Il se plaça aussi près d’elle qu’il lui fut possible, et profitant du moment de l’élévation, où tout le monde se prosterna, il passa la main entre les barreaux de la grille et répandit devant la sœur Agathe le contenu d’une fiole d’essence qu’il avait apportée. L’odeur pénétrante qui se développa