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LES ÂMES DU PURGATOIRE.

un serpent gigantesque s’éleva derrière lui, et le dépassant de plusieurs pieds, semblait prêt à s’élancer dans la bière… — Don Juan s’écria : Jésus ! et tomba évanoui sur la pierre.

La nuit était fort avancée, lorsque la ronde qui passait aperçut un homme étendu sans mouvement à la porte d’une église. Les archers s’approchèrent, croyant que c’était le cadavre d’un homme assassiné. Ils reconnurent aussitôt le comte Marana et ils essayèrent de le ranimer en lui jetant de l’eau fraîche au visage ; mais voyant qu’il ne reprenait pas connaissance, ils le portèrent à sa maison. Les uns disaient qu’il était ivre, d’autres qu’il avait reçu quelque bastonnade d’un mari jaloux. Personne, ou du moins pas un homme ne l’aimait à Séville, et chacun disait un mot sur son état. L’un bénissait le bâton qui l’avait si bien étourdi, l’autre demandait combien de bouteilles pouvaient tenir dans cette carcasse sans mouvement. Les domestiques de don Juan reçurent leur maître de leurs mains et coururent chercher un chirurgien. On lui fit une abondante saignée, et il ne tarda pas à reprendre ses sens. D’abord, il ne fit entendre que des mots sans suite ; des cris inarticulés, des sanglots et des gémissemens. Peu à peu, il parut considérer avec attention tous les objets qui l’environnaient. Il demanda où il était, puis ce qu’était devenu le capitaine Gomare, don Garcia et la procession. Ses gens le crurent fou. Cependant, après avoir pris un cordial, il se fit apporter un crucifix et le baisa quelque temps, en répandant un torrent de larmes. Ensuite il ordonna qu’on lui amenât un confesseur. La surprise fut générale, tant son impiété était connue. Plusieurs prêtres, appelés par ses gens, refusèrent de se rendre auprès de lui, persuadés qu’il leur préparait quelque méchante plaisanterie. Enfin un moine dominicain consentit à le voir. On les laissa seuls, et don Juan s’étant jeté à ses pieds, lui raconta la vision qu’il avait eue. Puis il se confessa. Après le récit de chacun de ses crimes, il s’interrompait pour demander s’il était possible qu’un aussi grand pécheur que lui obtînt jamais le pardon céleste. Le religieux répondait que la miséricorde de Dieu était infinie. Après l’avoir exhorté à persévérer dans son repentir, et lui avoir donné les consolations que la religion ne refuse pas aux plus grands criminels, le dominicain se retira, en lui promettant de revenir le soir. Don Juan passa toute la journée en prières.