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et de cahiers, et en regardant autour de lui, il ne peut s’empêcher de faire une triste comparaison entre ce qu’il a connu jusqu’alors et la vie douce et splendide de ces habitans des montagnes. Hélas ! il voudrait bien pouvoir rester, mais il est d’une nature trop grossière pour habiter avec de purs esprits. Son hôte le lui dit à regret, il faut qu’il parte. On lui prépare un dernier repas, on remplit une cassette d’or et de diamans ; la jeune fille lui dit adieu en rougissant ; le père lui donne quelques bons conseils ; puis deux petits nains le conduisent au bas de la montagne, lui remettent la cassette, et il arrive à Goettingue avec un trésor que les bijoutiers de la ville n’estimèrent pas moins de 40,000 thalers.

La chronique de Gleichen rentre dans le cycle romanesque des croisades.

Le comte de Gleichen a épousé une jeune femme qu’il aime beaucoup. Mais de longues années se passent, et Dieu n’a point exaucé les prières ardentes qu’il lui adressait pour obtenir des enfans de ce mariage. Après avoir long-temps en vain ordonné des messes, fait des neuvaines, et doté maint couvent, il se résout, en brave chevalier du moyen âge, à s’en aller en terre sainte avec les croisés. Dans une bataille où il combat pour sa foi avec une intrépidité héroïque, il est pris par les Sarrazins et livré au sultan. La fille du sultan le voit et en devient amoureuse. Elle l’aime avec toute l’ardeur d’une enfant du midi ; elle le dévore des regards, elle se lève au milieu de la nuit, et s’avance doucement dans sa chambre pour le contempler dans son sommeil et baiser les vêtemens qu’il a portés pendant le jour. Tout ce qu’elle a de pouvoir, elle l’emploie à adoucir sa captivité, c’est elle dont il sent la main invisible et bienfaisante chaque fois qu’une nouvelle faveur lui est accordée, chaque fois que la vie lui devient plus riante. Enfin elle lui avoue son amour, et lui offre de le délivrer, de le suivre, de se faire chrétienne s’il s’engage à l’épouser. Le pauvre chevalier se trouve alors placé dans une pénible perplexité. La jeune fille est belle, belle de ses grands yeux noirs, de sa coupe de figure orientale, belle aussi de sa passion. Ce serait pour lui une grande joie de l’épouser, surtout s’il songe qu’en la rendant chrétienne il s’acquerrait encore un nouveau mérite devant Dieu. Mais quand il pense à sa jeune femme à laquelle il a juré une fidélité éternelle, il ne croit pas qu’il lui soit permis de violer ses sermens, et il se résout à terminer sa vie dans sa prison. De longs jours se passent ainsi dans ces souffrances d’ame, dans ces combats interminables entre le désir de revoir sa patrie, son château, sa femme bien-aimée, et la crainte de manquer aux lois de Dieu. Cependant la jeune païenne ne se décourage pas ; plus les obstacles que lui op-