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pas vingt-cinq ans, et qu’il en avait, lui, soixante et douze : « C’est bien pour cela, répondit-il ; je ne hasarde qu’un sou contre une pistole. » La famille de Piles lui offrit de l’argent pour l’apaiser. Il refusa d’abord avec opiniâtreté ; mais ses amis lui persuadèrent enfin qu’il devait accepter les dix mille écus qu’on lui offrait : « Je prendrai cet argent, puisqu’on m’y force, dit-il, mais je n’en garderai par un teston pour moi ; j’emploierai le tout à faire bâtir un mausolée à mon fils. » C’était un mot nouveau qu’il donnait à la poésie. Il faut croire que ces conventions ne furent pas exécutées ; car, en envoyant sa belle ode à Louis xiii, qui assiégeait alors La Rochelle, il écrivit à ce prince une longue lettre pour éloigner le pardon royal des meurtriers de son fils. Il fallait aussi prévenir le roi contre les menées d’un conseiller de Provence qui prêchait en tout lieu la vertu de ses pistoles. Cette lettre, c’est Malherbe tout entier, avec cette fierté de naissance contre laquelle il avait si souvent conseillé à Racan de se prémunir. Qu’est-ce en effet que ce Cauvet qui ose comparer la noblesse de sa maison à celle d’un descendant des conquérans de l’Angleterre ? « Le fils et le neveu de deux hommes que beaucoup de gens ont vus arriver à Marseille, petits marchands, avec des balles de canelle, poivre, gingembre, raisins et autres denrées. » Puis, après un long exposé de l’affaire, et un pathétique tableau de tout le peuple d’Aix se pressant autour du corps de la victime, et demandant à la voir une dernière fois dans son cercueil, il termine par cette pensée touchante : « Je ne crois pas qu’il y ait chose au monde que vous désiriez, et qui vous soit si désirable, comme d’être père ; vous le serez, sire, par beaucoup de raisons ; mais ce ne sera pas une des moindres que la compassion que vous aurez eue d’un père affligé comme je le suis. » Ces dernières paroles sont belles et grandes. On voudrait croire que ce vœu d’un père a été pour quelque chose dans la naissance de Louis xiv ?

Malherbe se rendit lui-même à La Rochelle. Mais Richelieu ne lui était guère plus favorable que Sully. Le poète, ayant voulu louer le cardinal, n’avait trouvé rien de mieux que de rajuster en son honneur deux strophes qu’il avait commencées il y avait trente ans. Corneille touche à Malherbe dans la haine de Richelieu.

Malherbe donc, ne trouvant pas bon accueil auprès du roi, en