Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 3.djvu/484

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
480
REVUE DES DEUX MONDES.

rité, même la plus prévenue ; c’est en quoi M. Pagès peut rendre des services à la cause qu’il a embrassée. Se faire écouter d’une assemblée prévenue, c’est un triomphe, et si le député de l’Arriège daigne quelquefois pénétrer dans l’empire des faits, s’il étudie plus profondément les caractères généraux de l’administration, il embarrassera évidemment un ministère si malheureusement posé en face du pays.

La position de M. Laffitte le place défavorablement au milieu de la chambre ; rien ne pèse plus sur le cœur de l’homme que la reconnaissance : or, comme il est constant aux yeux de tous que M. Laffitte a pétri la royauté nouvelle, que cette royauté a été oublieuse, ingrate peut-être, la majorité de la chambre s’identifiant avec la couronne est importunée de la parole de celui qui la mit sur la tête alors abaissée de la maison d’Orléans. J’éprouve toujours un profond dégoût lorsque j’entends ces députés dévoués à la dynastie actuelle déclamer contre M. Laffitte, ses infortunes, son caractère ou son talent. Il y a dans cette courtisannerie basse, dans cette manière de déprécier un homme qu’on voudrait oublier et faire oublier, je ne sais quoi d’ignoble ; on exprime une pitié affectée ; on parle des bienfaits multipliés que M. Laffitte a reçus des mains de celui qui disait naguère tous les services rendus à sa famille par l’homme de la révolution de 1830. On blesse par de fausses calomnies un caractère honorable, et tout cela au profit d’une parcimonie qu’on voudrait déifier. Certes, M. Laffitte n’est point un caractère complet ; unité honorable, trop pleine d’elle-même pour jamais aller aux autres, et se grouper comme une force, M. Laffitte est pour un parti plutôt un embarras qu’un auxiliaire. Il abuse d’un grand flux de paroles ; il arrive à la tribune avec des notions imparfaites, des systèmes mal arrêtés, de sorte qu’il est vulnérable sous presque tous les rapports. Sa courte administration fut gaspilleuse et désordonnée ; le sentiment de sa propre capacité, un besoin de se montrer toujours lui, l’immense défaut pour un homme politique de ne jamais écouter, atténuent dans M. Laffitte l’aptitude pratique aux matières de finances et d’administration. Plein d’excellentes idées, il a toujours eu la main malheureuse pour les mettre à exécution ; avec un peu moins de vanité, même sur les choses puériles, il aurait pu se faire une position plus haute. Il est à craindre qu’il ne s’isole dans les scrutins, qu’il ne cherche à se faire une position personnelle, laquelle n’aurait pas une grande portée. Si l’on a été ingrat envers M. Laffitte, M. Laffitte, à son tour, a conservé peut-être un sentiment trop profond du service qu’il a rendu ; et ce service étant la couronne de France, il est sans doute naturel que M. Laffitte se pose haut dans le mouvement des affaires auxquelles il a contribué d’une manière si décisive ; mais cela nuit à l’action