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REVUE DES DEUX MONDES.

§. vi.
Le révolutionnaire de Chester.


On s’en souvient encore à Chester, pays du fromage. Peu de temps après le départ de Bonaparte pour Sainte-Hélène, beaucoup de prospectus et d’affiches furent répandus dans la ville. « Un grand nombre de familles honorables, disait le prospectus, allaient habiter Sainte-Hélène, et comme cette île était désolée par le grand nombre de rats qui y pullulent, le gouvernement anglais avait résolu de détruire par tous les moyens cette population dangereuse. » Pour faciliter cette entreprise, l’auteur du prospectus se disait chargé de faire une provision de chats, dans l’espace de temps le plus court possible. « Il offrait donc seize schellings pour un gros matou bien portant, dix schellings pour une chatte d’âge mûr, et une demi-couronne pour un petit chat capable de courir, de boire du lait et de jouer avec un écheveau de fil. »

Deux jours après la publication de cette annonce, on vit entrer dans Chester, à l’heure indiquée par l’auteur du prospectus, une multitude de vieilles femmes, d’enfans et de petites filles portant des sacs remplis de chats. Toutes les routes, tous les sentiers, toutes les rues étaient occupés par cette singulière procession. Avant la nuit, une congrégation de trois mille chats se trouvait réunie à Chester. Ces intéressantes créatures poussaient des cris lamentables, en se dirigeant vers une rue que le prospectus avait indiquée. La rue était étroite ; tous les chats entassés miaulaient ensemble. Voilà tous les sacs qui se pressent et se heurtent, le concert qui prend des forces nouvelles, les cris des femmes et des enfans qui se mêlent à ceux des chats, et les longs aboiemens des chiens qui font rouler la basse de cette harmonie singulière. Quelques-unes des porteuses de chats, se trouvant gênées par leurs voisines, déposèrent leurs sacs et boxèrent. Les chats prisonniers hurlaient le chant de guerre. Alors survinrent les polissons de la ville, qui se mirent à délier les sacs, d’où s’élancèrent trois mille chats enragés, crachant, criant, les griffes nues, et courant sans pitié sur les épaules et les têtes des combat-