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plan de toutes les villes que le général attaquait, il se mettait, la pioche à la main, à détruire son propre plancher, suivant toujours exactement les instructions de la gazette et les mouvemens du général. Chaque ville lui coûtait un plancher. C’est précisément l’oncle Toby.

Il n’avait ni fauteuil, ni chaise ; un trou creusé devant la cheminée lui servait à placer ses jambes et ses pieds qui pendaient. Il restait assis sur le parquet. Ses fermiers ne purent jamais obtenir de lui qu’il reçût leur argent ; il leur faisait dire de l’attendre dans une auberge voisine de sa maison, et là, il payait leurs dépenses jusqu’à ce qu’il lui plût de les renvoyer. Sa manière de disposer ses finances n’était pas moins originale. Après avoir fait à Londres ses études d’avocat, il laissa au-dessus de la porte de son antichambre un vieux porte-manteau, tellement moisi et délabré, que personne n’y fit attention. Une douzaine d’étudians vinrent habiter tour à tour la même chambre sans déranger le porte-manteau ; enfin, un dernier occupant ordonna à son domestique de faire disparaître ce débris : on le jeta par terre. Il était pourri ; on en vit tomber sept cents pièces d’or et des papiers qui appartenaient à M. Stukeley.

Au lieu de ranger son argent, il l’empilait sur les planchers de sa cuisine ; il y avait environ trois mille guinées dans sa chambre où jamais domestique n’entra. Un jour il y introduisit un enfant ; une partie de la somme se trouvait sur une table à laquelle un pied manquait. L’enfant heurta contre la table et la fit tomber ; les guinées s’éparpillèrent. Pendant dix ans qu’il vécut encore, Stukeley ne releva pas la table et ne ramassa pas les guinées. Il se contenta de les repousser du pied, de manière à se frayer une double route, de son lit à la porte et de son lit à la fenêtre.

Si Sterne était à l’affût des originalités vivantes et des originalités écrites, qu’il copiait avec le même soin et dont il a perpétué le souvenir, Swift faisait mieux encore ; il prenait rang parmi les originaux. Un pauvre cordonnier qui lui avait fait attendre une paire de bottes, fut enfermé dans son parc pendant une nuit d’hiver. Une domestique qui lui avait demandé permission de se rendre à la danse du village, et qui avait oublié de fermer la porte, se trouva obligée de quitter la contredanse et de revenir fermer sa porte. Quand il rendait visite à un fermier et que le costume du fermier,