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« Je me dirigeai sur l’Alsace, passai à Cologne et ensuite à Landau où je devins suspect par le récit que je faisais aux soldats de mes aventures et de mon origine japonaise. On me prit pour un espion ; on me jeta dans un cachot, et je fus sur le point d’être fusillé ; mais on se contenta de me chasser de la ville, avec injonction de n’y jamais rentrer, sous les peines les plus sévères. Cette leçon ne me corrigea point. J’errai ainsi en Allemagne, en Brabant, en Flandre, trouvant partout des hommes insoucians ou incrédules, recueillant quelques aumônes qui étaient promptement dissipées.

« Les habitudes indolentes et avilissantes qu’un tel genre de vie me faisait contracter, me rendirent insensible à la honte. Mes habits n’étaient que des haillons, et la malpropreté la plus repoussante me défigurait. Lorsque arrivé dans une grande ville, je demandais refuge dans un hôpital, sans égard pour mes certificats qu’on ne lisait point, on me plaçait toujours parmi les plus misérables, et dans les endroits les plus sales. Je fus enfin couvert de vermine et infecté de la gale ! Béni soit ce dernier fléau, qui m’empêcha de devenir l’instrument du libertinage !

« Dans diverses grandes villes du Brabant, il y avait des espèces de religieuses non cloîtrées, qui parcouraient les rues et les maisons pour y visiter les pauvres et leur procurer des ressources. Des femmes indignes, se cachant sous cet habit, cherchaient quelquefois, dans la classe des vagabonds, des jeunes gens bien faits qu’elles emmenaient avec elles sous prétexte de les faire connaître à des dames pieuses et charitables qui devaient les secourir, tandis qu’elles les conduisaient chez les dames d’un autre genre et dans un autre but. Je fus plusieurs fois choisi par ces entremetteuses, et les traces de la maladie honteuse que ma nudité trahissait, me faisaient aussitôt renvoyer. Quoique je fusse resté jusqu’alors innocent de tout commerce avec les femmes, j’avoue que la faim et la misère m’auraient rendu le refus impossible.

« Tandis que j’étais à Liège, où je recevais de l’hôpital la pitance du pauvre, j’appris qu’un recruteur, logé dans un des faubourgs de la ville appartenant aux Hollandais, engageait des jeunes gens pour le service des provinces unies. Je déterminai une douzaine de mes compagnons mendians à s’aller offrir à ce raccoleur. Le recruteur, après m’avoir interrogé, me garda, tandis