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POÈTES ET ROMANCIERS DE L’ITALIE.

sa route ; si j’ai fait mention de ces deux essais, c’est plus comme pièces justificatives que comme œuvres ayant en soi une valeur littéraire. Ils affirment seulement les tâtonnemens du poète. Lui-même, sans nul doute, les juge ainsi.

Nous voici arrivés à l’époque critique de Manzoni. Il est homme, le moment est venu où il doit sentir qu’on ne puise pas impunément l’inspiration à des sources étrangères, et qu’il n’y a d’œuvre durable que celle qu’on édifie sur son propre fonds, de sa propre main ; mais il manque d’un but fixe, d’une croyance arrêtée ; il n’est pas tyrannisé par une idée, il est sceptique, il doute. C’est là une épreuve que nous subissons tous plus ou moins. C’est l’heure où une voix, où mille voix nous crient : « Fais ton choix. » Heureux qui le fait ! plus heureux qui le fait bon ! Si on ne le fait pas alors, on risque de ne le faire jamais. Ceci est une vérité qui a été dite et maintes fois répétée, mais maintes fois encore elle le sera, car elle est d’une application quotidienne, universelle, et l’on est d’autant plus autorisé à la répéter aujourd’hui que ceux qui la prêchent ne sont pas toujours ceux qui la pratiquent. La chose est bonne à dire, mais elle est meilleure encore à faire.

Jusqu’ici, Manzoni, élevé suivant les doctrines courantes, avait vécu dans l’incrédulité, ou du moins dans une indifférence religieuse qui l’inquiétait peu. De retour à Milan, on lui fit épouser (1808), en haine de la croyance catholique, une femme protestante, fille d’un banquier genevois nommé Blondel ; or, ce qui devait l’éloigner de l’église l’y ramena. Sa femme abjura le protestantisme, et passant de Genève à Rome, elle entraîna son mari dans sa conversion. De ce jour, le choix de Manzoni fut fixé, et il est resté dès-lors catholique fervent. On raconte à Milan que quelques paroles pieuses dites à sa mère à Paris, ou à sa femme par une sœur de la Charité, furent la première occasion de cette triple conversion, je dis triple, car la fille de Beccaria suivit de près ou précéda de peu la métamorphose des deux époux. Ce petit drame domestique se jouait à Milan vers 1810.

On aimerait que de telles démarches fussent spontanées et procédassent moins de circonstances accidentelles que d’une volonté libre et solitaire. Les influences, celles du foyer surtout, sont si puissantes, qu’elles prennent facilement le pas sur les principes et