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REVUE. — CHRONIQUE.

2 juin. — Nous fûmes enchaînés jusqu’à Brie ; une petite prison et deux mauvais lits. Le geôlier, honnête homme ; il nous traita avec humanité, et nous fit peu payer pour notre nourriture. Nous obtînmes gratis des moyens de transport.

3 juin. — Partis de Brie à 6 heures. Arrivés à Charenton, des gendarmes de Paris nous enchaînèrent deux à deux, et nous placèrent sur une misérable charrette ; nous fûmes ainsi traînés, par un soleil brûlant, jusqu’à Saint-Mandé, où le fameux Vidocq, qui a touché fraternellement la main de ……, est propriétaire d’un moulin à papier. Les gendarmes nous déposèrent pour une heure dans un donjon infect, puis nous enchaînèrent, et nous continuâmes notre route jusqu’à Belleville.

Après une autre heure de repos, passée aussi dans un donjon infect, nous allâmes à la Villette, puis à la Chapelle. Nous fûmes ainsi traînés par la chaleur et la poussière dans toutes les communes qui entourent la capitale, et ce ne fut que le soir, qu’exténués de fatigue, nous fûmes enfermés dans la prison de St.-Denis. Le geôlier, homme dur, mais moins encore que le médecin, qui refusa de faire payer les frais de route. La prison est infecte, la nourriture chère, et les gendarmes dignes de l’emploi qu’on leur donne.

4 juin. — Nous partîmes de St.-Denis à 6 heures, enchaînés sur une charrette à nos frais. Nous arrivâmes à midi à Luzarches ; la pluie nous avait trempés. On nous mit dans une étable qui sert de prison, où nous ne trouvâmes qu’un peu de paille humide. De larges gouttes d’eau tombaient le long des murs, et pas une fenêtre pour donner de l’air ou de la clarté. Nous souffrîmes cruellement tout le long du jour, mais plus encore la nuit. Un animal venimeux me mordit à la joue ; et lorsque après ces heures d’angoisses, le matin, nous nous préparâmes à sortir, et que nous demandâmes un petit verre d’eau-de-vie, nous fûmes refusés.

5 juin. — Par la pluie, à 7 heures, nous montâmes dans une charrette à nos frais.

6 juin. — À 6 heures, partis de Clermont sur une charrette pour laquelle nous payâmes. Arrivés à midi à Breteuil, où nous fûmes laissés dans un misérable donjon, sur de la paille pourrie. Le geôlier demanda fort cher pour le peu de nourriture que nous avions prise. Deux ou trois personnes de la ville vinrent nous faire visite, et nous plaignirent. Ces personnes revinrent accompagnées de leurs femmes et de leurs familles, et restèrent quelque temps avec nous, dans notre donjon : elles nous envoyèrent quelques bouteilles de vin de Bordeaux, et parurent toutes indignées de la conduite du gouvernement français, qui faisait traîner d’une manière si cruelle, de prison en prison, de braves officiers, victimes de leur amour pour leur patrie. Ces excellentes dames nous laissèrent de touchans souvenirs, gravés seulement dans les cœurs de ceux qui connaissent l’adversité,

La voiture nous fut fournie par les autorités de l’endroit.

7 juin. — À Amiens, nous arrivâmes sans être enchaînés. Bonne prison, bons lits ; nous dînâmes à la table du geôlier pour un prix modéré. Le commandant de gendarmerie, homme excellent, nous procura une charrette gratis.

8 juin. — Partis à six heures sans être enchaînés. Arrivés à Doulens à midi.

9 juin. — Nous quittâmes Doulens à six heures, et à midi nous étions à Saint-Pol. Nous rencontrâmes plusieurs sous-officiers que l’on conduisait à Alger, et nous leur donnâmes des preuves de notre sympathie.

10 juin. — Nous arrivâmes à Saint-Omer. Bonne prison, geôlier et gendarmes compatissans. Rafraîchissemens à bon marché ; mais les moyens de transport refusés.

11 juin. — À Ardre à midi. Le caporal et les gendarmes consentirent à ce que nous dînassions dans une auberge ; mais le geôlier, afin de ne pas perdre ses profits, porta plainte contre les gendarmes et obtint que nous prendrions nos repas en prison. Ne voulant pas céder, nous restâmes jusqu’à quatre heures sans rien prendre ; alors, après avoir donné dix francs aux gendarmes, nous obtînmes un transport extraordinaire, et le soir nous étions à Calais.