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ON NE BADINE PAS AVEC L’AMOUR.

adressée cette lettre ? à un homme qui fait la cour à une gardeuse de dindons. Or, un homme qui recherche en public une gardeuse de dindons, peut être soupçonné violemment d’être né pour les garder lui-même. Cependant il est impossible que votre nièce, avec l’éducation qu’elle a reçue, soit éprise d’un pareil homme ; voilà ce que je dis, et ce qui fait que je n’y comprends rien non plus que vous, révérence parler.

LE BARON.

Ô ciel ! ma nièce m’a déclaré ce matin même qu’elle refusait son cousin Perdican. Aimerait-elle un gardeur de dindons ? Passons dans mon cabinet ; j’ai éprouvé depuis hier des secousses si violenles, que je ne puis rassembler mes idées.

(Ils sortent.)


Scène v.


Une fontaine dans un bois.


Entre PERDICAN, lisant un billet.

« Trouvez-vous à midi à la petite fontaine… » Que veut dire cela ? tant de froideur, un refus si positif, si cruel, un orgueil si insensible, et un rendez-vous par-dessus tout ! Si c’est pour me parler d’affaires, pourquoi choisir un pareil endroit ? Est-ce une coquetterie ? Ce matin, en me promenant avec Rosette, j’ai entendu remuer dans les broussailles, et il m’a semblé que c’était un pas de biche. Y a-t-il ici quelque intrigue ?

Entre Camille.
CAMILLE.

Bonjour, cousin ; j’ai cru m’apercevoir, à tort ou à raison, que vous me quittiez tristement ce matin. Vous m’avez pris la main malgré moi ; je viens vous demander de me donner la vôtre. Je vous ai refusé un baiser, le voilà. (Elle l’embrasse.) Maintenant, vous m’avez dit que vous seriez bien aise de causer de bonne amitié. Asseyez-vous là, et causons.

(Elle s’asseoit.)
PERDICAN.

Avais-je fait un rêve, ou en fais-je un autre en ce moment ?

CAMILLE.

Vous avez trouvé singulier de recevoir un billet de moi, n’est-ce pas ? Je suis d’humeur changeante ; mais vous m’avez dit ce matin un mot très juste : « Puisque nous nous quittons, quittons-nous bons amis. » Vous ne savez pas la raison pour laquelle je pars, et je viens vous la dire : je vais prendre le voile.