Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 3.djvu/683

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
679
LETTRE SUR L’ÉGYPTE.

partout en Orient ; les hommes et même les femmes y sont tous marqués et étiquetés comme des ballots à la douane. Les gens de notre équipage ne parlent que la langue arabe ; ils s’expriment avec tant de vivacité, que parfois on les croirait en colère ; mais leurs manières sont au fond très pacifiques. Lorsqu’ils tiennent la rame, ils ont un chant qui semble accompagner tous leurs mouvemens, qui monte et descend avec les avirons. Cette musique monotone les tient en haleine ; quand leur voix s’anime, la barque vole sur les flots ; quand leurs chants s’affaiblissent, la rame leur tombe des mains ; tout l’équipage s’endort, et la kanje, si elle n’est pas poussée par les vents, demeure immobile. Les voyages sur le Nil, comme je crois l’avoir dit, ne sont pas sans péril ; les voiles sont très élevées, offrent beaucoup de prise aux vents, et peuvent faire chavirer la barque ; la manœuvre en outre se fait avec beaucoup de négligence. J’ai ouï dire à des officiers de marine qu’ils redoutaient plus la navigation du Nil que celle de la Méditerranée et de l’Océan ; j’ai fait plusieurs observations à notre réis sur la manière dont son navire est dirigé ; il m’a toujours répondu : C’est l’usage. Nous rencontrons quelquefois des kanjes dont le mât est emporté, dont les voiles sont dans l’eau, et la quille en l’air ; lorsque nous demandons les causes de ces fâcheux accidens, notre patron se contente de dire : Dieu l’a voulu.

Nos mariniers, fidèles au ramadan, restent tout le jour sans fumer ; ils regarderaient comme un péché d’avaler une goutte de l’eau du Nil ; il faut voir l’attention avec laquelle ils comptent les heures et les minutes ; ils ont toujours les yeux vers le soleil, pour savoir comment va le temps ; quand le soir arrive, leur impatience redouble ; ils attendent que l’arrivée de la nuit vienne leur donner le signal propice, pour se livrer à leur appétit ; c’est alors que la joie éclate sur leur front. N’allez pas croire cependant qu’on leur ait préparé un festin ; j’ai quelquefois assisté à leur repas : c’est un riz, qui n’a pas été blanchi, et qu’on fait bouillir avec un peu de sel ; leur soif n’est jamais apaisée que par l’eau du fleuve ; il est vrai que le réis vient tous les soirs dans notre cabine nous demander un peu d’eau-de-vie qu’il boit à l’insu de son équipage. Avant le lever du jour, on fait un autre repas, et le jeûne le plus rigoureux recommence comme la veille. Cette pénitence retombe indi-