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LETTRE SUR L’ÉGYPTE.

fond silence, la vaste étendue du désert, voilà ce qui frappe l’imagination. On n’éprouve point de terreur à cette vue, comme le prétend le voyageur Clarke, mais l’aspect des pyramides vous trouble et vous émeut comme une grande pensée morale, comme un chant de l’Iliade, ou comme un beau passage des Prophètes. On est pénétré de je ne sais quel sentiment religieux qui nous reporte aux temps reculés et qui nous donne confiance dans l’avenir ; je conçois très bien maintenant ces paroles que Bonaparte adressait à ses soldats : Du haut des pyramides trente siècles vous contemplent. Ces monumens sont en effet comme des colonnes placées sur le chemin de l’éternité, et si l’immortalité pouvait se personnifier, si elle nous apparaissait, je crois qu’elle se montrerait à la terre du sommet des pyramides.

En même temps que nous avons vu les pyramides, nous avons découvert les sommets du Mokatan et la chaîne des montagnes libyques, couvertes d’une vapeur rougeâtre. La journée était sur le point de finir, et le soleil se couchait à notre droite ; les ténèbres de la nuit ont fait disparaître ce magnifique spectacle, et nous ont laissés livrés à nos réflexions. J’ai eu beaucoup de peine à m’endormir, et vous devez bien croire que j’ai rêvé aux pyramides. Quand le soleil s’est levé, nous avions dépassé le lieu où le Nil se divise en deux grandes branches, et qu’on appelle la Tête de la Vache. Le fleuve se présente à nous comme le large Hellespont ; les minarets et plusieurs beaux édifices frappent nos regards ; tout nous annonce les avenues et l’approche d’une grande cité. Nous allons débarquer et nous rendre au Caire, d’où je vous écrirai mes prochaines lettres.

Michaud.


Nous regrettons de ne pouvoir donner place aujourd’hui, à la suite de ces belles pages de M. Michaud, à une lettre de son compagnon de voyage, M. Poujoulat, sur la Palestine ; mais nous ne renonçons pas à user encore de la communication bienveillante qui nous a été faite de la partie inédite de la Correspondance d’Orient. Il y a trop de charme et d’instruction à puiser dans cette intime et simple causerie des deux amis, pour que nous ne citions pas encore quelques fragmens de leur correspondance. Un trait commun aux deux voyageurs, c’est le bon goût et la réserve de leur érudition. Tous deux ont su éviter la faute commise par plusieurs de leurs devanciers. Ils disent ce qu’ils savent et ce qu’ils sentent, sans faire parade de leurs lectures ; et pourtant à chaque page on devine qu’il leur a fallu fouiller bien avant dans le passé pour comprendre, comme ils font, le présent qui s’agite sous leurs yeux.