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comme une compagne d’enfance. La sensibilité du jeune homme se portait de préférence vers ce qui était triste et pur, expiatoire et clément. Quand l’idée philosophique vint à naître chez M. Ballanche, elle trouva donc toutes ces belles formes éparses, ces antiques images déjà préparées ; quand le Dieu parut, il y avait des marbres et des statues pour un temple. Au souffle immense sorti des évènemens, ces marbres remuèrent comme au son d’une lyre ; la philosophie de M. Ballanche se mit à se construire et à s’ordonner d’elle-même, comme les philosophies antiques, comme les murs des Thèbes sacrées. — Mais tout ceci mérite d’être repris avec détail.

Pierre Simon Ballanche est né à Lyon en 1776. Son enfance et sa première jeunesse furent souffrantes, valétudinaires et casanières. Vers l’âge de dix-huit ans, il resta trois années entières sans sortir ; il n’était pas seul pourtant, et avait toujours nombreuse compagnie de jeunes gens et de jeunes personnes. Il lisait, et surtout écrivait dès-lors beaucoup. Vers l’âge de vingt ans, il écrivit ces pages du Sentiment qui furent publiées en 1801. Mais avant ce livre, et durant ses années les plus valétudinaires qui correspondent au temps du siége de Lyon, il s’était fort occupé de l’Épopée lyonnaise, grand poème en prose, dont parle la préface générale, et qui ne fut jamais imprimé. Grâce à cette poétique conception et à un sentiment d’espérance qu’il nourrissait, la durée du siége se passa pour lui assez heureusement ; mais la terreur qui suivit n’en fut que plus accablante ; il s’enfuit à la campagne avec sa mère, et y souffrit de toutes les privations. Il tenait de son père pour la constitution physique ; mais, comme tant d’hommes célèbres, pour le dedans et la manière de sentir, il tenait étroitement de sa mère.

De retour à Lyon après le 9 thermidor, le jeune Ballanche eut à subir une convalescence très longue, très pénible, plus orageuse que ne l’avait été la maladie même. Une partie des os de la face et du crâne étaient altérés ou atteints de mort ; il fallut appliquer le trépan. La force de caractère du malade était si grande que, tandis que l’instrument opérait sur sa tête, des dames qui causaient près de la cheminée à l’autre bout de la chambre ne s’en aperçurent pas. Vico, dit-on, éprouva dans son enfance une maladie du même genre. Toujours le dur marteau de Vulcain doit-il aider à l’enfante-