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forme contre l’agile nageur, je me penchai sur la grève. Je vis alors le calamajo, l’encrier, c’est ainsi qu’on appelle ici cette espèce de seppia, lancer son encre à la figure de l’ennemi qui fit une grimace de dégoût et s’éloigna fort désappointé. Le calamajo fit à sa manière quelques gambades agréables sur le sable ; mais ce divertissement ne fut pas de longue durée. La dorade revint traîtreusement, et, par derrière, le saisit et l’emporta au fond de l’eau, avant qu’il eût songé à se servir de son ingénieux stratagème. Cette guerre me fit oublier celle du pape avec M. de La Mennais, et je restai un quart d’heure à me bronzer au soleil dans la contemplation imbécille de quelques brins d’herbes où vivaient en bonne intelligence deux ou trois mille coquillages. Cette société paraissait florissante, lorsqu’un goéland effronté vint, sous mes yeux, la bouleverser d’un coup d’aile et presque l’anéantir. Rien ne peut donc subsister, pensai-je, et je me rappelai les tristes réflexions de l’abbé. J’allai le rejoindre ; mais, à ma grande surprise, je le trouvai riant tout de bon et relisant d’un air de satisfaction, en se caressant la barbe, des lignes qu’il venait d’écrire avec le bout d’une ardoise sur le méridien du jardin. Je me penchai sur son épaule, et je lus des vers vénitiens qu’il venait de composer, et dont j’ai essayé de faire tant bien que mal la traduction.


L’ennemi du pape.


« Restez en paix, mes frères, et laissez le pape vider ses querelles lui-même. Les foudres de Rome sont éteintes, et le feu de la colère brûle en vain les entrailles des hommes de Dieu. Leur anathème n’est plus qu’un son dont le vent se joue comme de l’écume des flots grondeurs. L’hérésiarque n’est plus forcé d’aller se réfugier dans les montagnes, et d’user la plante de ses pieds à fuir les vengeances de l’église. La foi est devenue ce que Jésus a voulu qu’elle fût : un espoir offert aux âmes libres, et non un joug imposé par les puissans et les riches de la terre. Restez en paix, mes frères ; Dieu n’épouse pas les querelles du pape.

« Imprudens qui voulez les réconcilier, vous ne savez pas le mal que vous feriez à l’église, si vous étouffiez cette voix rebelle ! Vous ne savez pas que le pape est bien content et bien fier d’avoir un ennemi ;