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maréchal, nous n’en doutons pas, est rempli de bonnes intentions pour les autres ministres, il leur porte une bienveillance sincère, il les voit avec plaisir, il les défend, il les estime ; mais il les tue.

Le ministère tout entier aura beau se blottir derrière le maréchal Gérard, la chambre le fera déguerpir de sa cachette. Le coup est frappé, et le ministère se l’est porté lui-même. En consentant à sacrifier le maréchal Soult, il a consenti à ce que le grand jour fut porté dans les affaires, et le grand jour, c’est le renversement de tout ce qui est, c’est la guerre à l’agiotage, au monopole des nouvelles et à l’exploitation du télégraphe ; c’est la guerre aux marchés onéreux, aux adjudications fictives et aux pots-de-vin ; c’est la guerre aux fonds secrets et aux manœuvres de police ; c’est la réforme et l’amélioration de tout, c’est une loi de responsabilité réelle pour les ministres ; c’est tout ce que les ministres actuels refusent de faire et de consentir depuis quatre ans, soit comme ministres, soit comme députés, soit comme écrivains et orateurs du gouvernement ; c’est la condamnation de tout ce qu’ils ont fait pour la plupart, de tout ce qu’ils font encore en ce moment. Voyez comme l’éloge des honnêtes gens est depuis quelques jours dans toutes les bouches, voyez comme l’appel du maréchal Gérard à la bonne foi a retenti dans toute la France, comme cette simple pensée qu’il a écrite au roi dans son rapport, a été adoptée avec chaleur et répétée partout comme le plus naïf proverbe populaire. Tous ces symptômes sont menaçans pour vous, et il faut vous hâter de renvoyer le maréchal Gérard, si vous voulez rester au ministère.

Ce ministère ne tombera pas seul, soit que le maréchal Gérard ou ses collègues se retirent. En Angleterre, le cabinet est à la veille de se dissoudre, mais par d’autres causes plus faciles à avouer. Les prédictions de M. de Talleyrand s’accomplissent déjà. Lord Melbourne succombe sous son fardeau. On ne fait pas les affaires d’un pays en dormant, et lord Melbourne dort souvent, si toutefois il veille jamais. Lord Brougham est désigné comme devant composer le nouveau ministère. Pour nous, son prochain avènement au poste de premier ministre ne nous avait pas semblé douteux, et nous l’avions annoncé le jour même de la nomination de lord Melbourne. Nous en avions indiqué les conséquences. Avec lord Melbourne finit le ministère de tous ces tories accomplis qui se nomment whigs, comme dit O’Connel dans sa lettre au peuple irlandais. Lord Brougham, chef du cabinet, serait le signal d’une rupture complète avec l’aristocratie, et le parti whig n’est pas assez puissant en Angleterre pour lutter avec les tories, dans une querelle sérieuse, sans le secours du radicalisme. C’est là ce qui inquiète si vivement M. de Talleyrand, c’est ce qui lui cause des idées sombres. Il a déjà manifesté le désir de jeter les bases d’une alliance éloignée qu’on pourrait substituer à celle de l’Angleterre, dans le cas où les évènemens qu’il prévoit se réaliseraient, car l’alliance anglaise ne pourrait alors se continuer qu’avec un ministère de l’extrême gauche, et ce ministère conviendrait peu à M. de Talleyrand.

L’Espagne est aussi au moment de passer à une nuance politique plus avancée, La lutte de M. Martinez de la Rosa et de M. Torreno contre la liberté de la presse a mal tourné pour le ministère espagnol. On a vu