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SOUVENIRS DE LA NORMANDIE.

de sa traversée, et qu’à son retour il était déjà impatient d’en commencer un autre.

J’ai dit qu’un an se passa ainsi, un an de félicité inouie que rien n’avait encore troublé. Les amis d’Henri le raillaient quelquefois de son goût subit de voyages, ou cherchaient à savoir le motif qui l’éloignait d’eux si souvent ; mais Henri était discret comme une tombe, et contrairement à l’usage, il n’avait pas un seul confident.

Il y avait à peine huit jours que Henri était revenu à Paris de son dernier voyage de Guernesey, quand par une belle matinée d’automne, il vit entrer dans sa chambre Jules de Mercy, un de ses amis qu’il n’avait pas vu depuis long-temps. Il est vrai qu’il en avait perdu de vue un grand nombre, dans la vie errante qu’il menait.

— Ah ! çà, Henri, lui dit Jules en entrant, je crois que tu m’as donné ton humeur voyageuse. Je pourrais faire le mystérieux comme toi, mais j’aime mieux te dire tout de suite que j’arrive d’Angleterre, des lacs d’Écosse et de l’Irlande. Sais-tu que j’ai passé trois jours avec O’Connell, le grand agitateur ? Ma foi, il n’est guère amusant, et j’étais mort d’ennui sans mon ami le colonel Evan, qui m’a emmené à Plymouth où l’attendait son yacht. Je t’assure, Henri, que si tu n’as pas vu une course de yachts, tu n’as rien vu dans ta vie. L’Eagle que nous montions, lord Evan et moi, filait onze nœuds à l’heure. Nous étions arrivés à Guernesey cinq bons quarts d’heure avant tous les autres. C’est une île charmante. As-tu jamais vu Guernesey ?

— Une seule fois en passant, dit Henri qui ne se souciait pas de se laisser entamer sur ce chapitre.

— Ma foi, mon cher, tu as eu tort de ne pas t’y arrêter. Evan qui est heureux en tout, et bon diable, y a trouvé une bande de comédiens, échappés de Drury-Lane, qui ont mis toute l’île en rumeur. Grâce à eux, nous avons pu voir au théâtre les femmes de Guernesey, qui se tiennent toute l’année cloîtrées dans leur chambre. En vérité, c’est qu’il y en a deux ou trois fort jolies ; mais tu ne t’es pas amusé à regarder les femmes de Guernesey ; toi, tu es un voyageur savant, tu ne t’occupes que des couches diluviales, des minéraux et des bruyères.