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sauvages ancêtres habitaient le nord de la mer Caspienne, se célèbre aux rives du Bosphore.

Que les Ottomans soient les bien-venus ! Ne faut-il pas que l’empire d’Orient cesse ? Ruine de l’antiquité, converti, mais non régénéré par l’Évangile, cet empire avait sauvé une partie du vieux monde en le baptisant, et épaulé le nouveau monde chrétien aux débris du passé ; vivant d’une vie mixte, confuse, inféconde, il dut mourir. Constantinople eut beau vendre son droit d’aînesse à Rome, et abjurer sa foi ; l’Europe ne lui paya point le prix de son apostasie. L’Europe avait trop à faire : au dehors un continent à découvrir et à coloniser, au dedans le moyen-âge féodal et catholique à réformer ; elle était grosse de Colomb, de Luther et Charles-Quint : elle fit beau jeu aux Ottomans. Oh ! quel étrange concert de cris de terreur et d’espérance, de gémissemens étouffés et d’exclamations triomphantes à pareil jour, retentit sur ces bords ! Alors, alors aussi se célébra une noce, noce de deuil et de sang : Constantinople, veuve de ses Césars, les yeux en larmes et la face voilée, dut accepter pour époux le vainqueur, encore teint du carnage de ses fils.

Et pourtant, en dépit de toutes les jérémiades pieuses et classiques sur l’asservissement d’un peuple chrétien, l’anéantissement des beaux arts et l’invasion de la barbarie par les Ottomans, le monde marche. La victoire a brisé pour les vaincus les traditions qui les entravaient : despotisme brutal de César et du patriciat ; discussions théologiques sans bruit désormais pour l’avancement de l’intelligence ; contemplation impuissante des chefs-d’œuvre de leur antiquité, et jusqu’à l’humiliante fiction qui imposait à leur nationalité le nom de Romain. Vaincus, ils redeviennent Grecs, ils secouent le joug de leur éternel Homère et de leurs éternelles controverses ; ils sont affranchis de leur aristocratie privilégiée ; ils sont gouvernés par des chefs de leur sang, de leur choix, par leurs prêtres. Les Barbares les ont asservis ; mais ils leur laissent leurs lois et une juridiction indigène ; les Barbares détruisent leurs vieilles statues et leurs vieux temples, mais ils leur laissent leurs autels et leurs églises.

Voilà Constantinople devenue le centre radieux de cette tente immense, qui, selon un poète turc, apparut en songe à Orchan,