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STATISTIQUE PARLEMENTAIRE.

une si grande complication d’intérêts agitait l’Europe. Il empêcha par un mot l’invasion de la Belgique. Vous savez aussi ce qui lui fit quitter les affaires. Lord Granville lui révéla l’existence de la correspondance particulière qui existait entre M. de Talleyrand et le roi, par l’intermédiaire de la princesse de Vaudemont. M. Molé s’en plaignit ; ministre responsable, il soutint que constitutionnellement toute action, toute correspondance devait passer par lui ou émaner de lui ; qu’il ne pouvait y avoir deux ministres des affaires étrangères, un à Londres, un à Paris. Il offrit sa démission, elle fut acceptée au moment d’ailleurs où s’élevaient quelques dissidences sur les principes de la loi électorale. Depuis lors, M. Molé s’est placé dans une position parlementaire qui n’est point de l’opposition, mais qui ne s’en éloigne pas cependant. Destiné à présider un conseil, M. Molé ne peut aveuglément suivre l’impulsion d’un ministère qu’il n’estime pas, et d’un système qui n’est pas le sien ; il n’attaque pas bruyamment et violemment, mais il n’appuie pas de son crédit, et c’est quelque chose quand on est haut placé. J’ajouterai à ceci quelques circonstances qui tiennent aux derniers événemens. Quand il s’agit de remplacer M. de Broglie, on songea une fois encore à M. Molé. M. Thiers fut chargé de nouer la négociation. Le petit ministre était alors l’ennemi acharné de M. Guizot ; il voulait le débusquer : mais l’action de M. Bertin de Vaux, l’alliance intime des Débats et de M. Guizot déjoua ce mouvement ministériel. M. Thiers se tourna alors du côté de la victoire ; il trahit ses engagemens, comme il l’a fait avec tous ceux qui ont eu le malheur de traiter avec lui, et le ministère se forma en dehors de M. Molé, repoussé d’ailleurs par l’opposition personnelle du roi.


Mécontentement Decazes. — L’opposition et le ministère ont également mal jugé M. Decazes. De longues habitudes du pouvoir ne l’ont point trempé assez fortement pour adopter une ligne de conduite fermement arrêtée dans les voies d’un système d’opposition, et ses goûts personnels, sa position élevée, lui défendent également de s’associer à tous les actes d’un pouvoir, quand ils ne sont pas dictés par la justice. C’est une âme, qui, à travers les vicissitudes et les changemens, a contracté une manière douce et molle de se placer entre deux partis, sans s’aliéner corps et âme à l’un ou à l’autre. Des manières et des formes séduisantes, un intérieur d’esprit et de causerie attrayante, font de M. Decazes un cercle autour duquel viennent naturellement aboutir toutes les consciences qui ne sont pas assez robustement constituées pour adopter un parti tranché. Sur le confin de toutes les opinions, il les caresse toutes, et voudrait leur ôter ce qu’elles ont d’âpre pour les assouplir à un prin-