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homme qui aggrave la faute pour laquelle il vient de demander grâce excite toute la colère de Giberti et du pape. L’Arétin voit l’orage approcher : il craint la prison et prend la fuite.

Cet évènement avait fait du bruit ; la verve mordante, les saillies libidineuses de Pietro, sa conversation brillante à table avaient commencé sa réputation ; Jules Romain l’avait vanté parmi les artistes, rois de l’époque. Chassé de Rome, à peine a-t-il passé quelques jours dans Arezzo, qu’une invitation de prince l’arrache à l’ennui de sa petite ville natale.

Ce prince était un guerrier célèbre, encore un Médicis ; un de ces hommes singuliers qui portaient dans le métier de la guerre le même esprit d’aventure, de caprice romanesque et de hasardeuse violence qui caractérisait alors les artistes, les papes, jusqu’aux parasites : Jean de Médicis, le Grand-Diable. Le pape, son parent, venait de s’allier, par un traité secret, à François Ier, autre paladin aventureux ; Jean, chef des bandes noires, allait joindre ses troupes à l’armée du monarque français. En attendant, il n’était pas fâché d’avoir près de lui un poète, parasite suivant l’armée. C’était l’Arétin qu’il avait choisi.

Le camp du Grand-Diable.

Quand l’Arétin, monté cette fois sur un beau cheval, arriva vers le milieu de la nuit, près des tentes de Jean de Médicis qui l’appelait, un spectacle curieux animait les environs de Fano. Vous n’auriez jamais dit un camp de vrais soldats, une armée rompue à la discipline. On courait, on se poussait, on entendait au loin de grandes clameurs. « Evviva il gran Diavolo ! » criaient mille voix de gendarmes. La joie était au camp et la nuit se passait en fêtes. Le Grand-Diable (Jean de Médicis) avait accordé à ses soudards une nuit de licence : on avait allumé des fanaux dans le camp, et les beautés faciles des villes environnantes étaient accourues par essaims. Les uns descendaient de cheval et revenaient de la picorée, apportant des flacons de bon vin et des jambons pendus à l’arçon de leurs selles, des paniers de fruits et des moutons bêlans, le tout sans que leur bourse en eût souffert : à dix lieues à la ronde on avait tout rançonné. Quelques femmes en pleurs s’arrachaient les cheveux ;