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enfin qu’un Lamétrie ; et cependant cela est inévitable, et il me faut donner aux philosophes français du XVIIIe siècle et à leurs continuateurs d’aujourd’hui le nom de matérialistes. L’Homme machine est la dernière conséquence de la philosophie française, et le titre de ce livre en trahit déjà le dernier mot.

Ces matérialistes étaient pour la plupart partisans du déisme, car une machine suppose un mécanicien, et la plus haute perfection de cette machine consiste à ce qu’elle sache reconnaître et apprécier la science technique d’un pareil artiste, soit dans sa propre construction, soit dans ses autres ouvrages.

Le matérialisme a rempli sa mission en France. Il accomplit peut-être actuellement la même tâche en Angleterre, et c’est sur Locke que s’appuient dans ce pays les partis révolutionnaires, notamment les Benthamistes, les prédicans de l’utilité. Ceux-ci sont des esprits puissans qui ont saisi le véritable levier avec lequel on peut remuer John Bull. John Bull est né matérialiste, et son spiritualisme chrétien est en grande partie une hypocrisie de tradition, ou même seulement une stupidité matérielle ; sa chair se résigne, parce que l’esprit ne lui vient pas en aide. Il en est tout autrement en Allemagne, et les révolutionnaires allemands se trompent, quand ils s’imaginent qu’une philosophie matérialiste y favorisera leurs projets.

L’Allemagne a toujours manifesté de l’éloignement pour le matérialisme : aussi devint-elle pendant un siècle et demi le véritable domicile de l’idéalisme. Les Allemands aussi sont allés à l’école chez Descartes, et son grand disciple eut nom Gottfried Wilhelm Leibnitz. Celui-ci suivit la tendance idéaliste du maître, comme Locke en avait choisi la tendance matérialiste. C’est chez Leibnitz que nous trouvons de la manière la plus déterminée la doctrine des idées innées. Il combattit Locke dans ses Nouveaux Essais sur l’entendement humain. Avec lui éclata chez les Allemands une grande ardeur pour les études philosophiques. Il éveilla les esprits et les conduisit dans de nouvelles voies. La douceur intime, le sentiment religieux, qui animaient ses écrits, réconcilièrent jusqu’à un certain point avec sa hardiesse les esprits récalcitrans, et l’effet en fut prodigieux. La hardiesse de ce penseur se montre surtout dans sa doctrine des monades, hypothèse des plus remarquables