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trine la qualification d’athée. Personne ne s’est jamais exprimé sur la Divinité d’une manière plus sublime que Spinosa. Au lieu de dire qu’il niait Dieu, on pourrait dire qu’il nie l’homme. Toutes les choses finies ne sont pour lui que des modes de la substance infinie ; toutes les substances finies sont contenues en Dieu ; l’esprit humain n’est qu’un rayon lumineux de la pensée infinie ; le corps de l’homme n’est qu’un atome de l’étendue infinie : Dieu est la cause infinie de tous deux, des esprits et des corps, natura naturans.

Dans une lettre à Mme du Deffant, Voltaire se montre tout charmé d’une idée de cette dame qui avait dit que toutes les choses que l’homme ne peut connaître sont sûrement de telle nature, qu’il ne lui servirait absolument à rien de les connaître. Je pourrais appliquer cette remarque à ce passage de Spinosa, que j’ai cité plus haut et d’après lequel appartiendraient à la Divinité, non-seulement les deux attributs reconnaissables de pensée et d’étendue, mais encore d’autres attributs que nous ne pouvons connaître. Ce que nous ne pouvons pas connaître n’a aucun prix pour nous, du moins sous le point de vue social où il s’agit de réaliser en fait sensible ce qui a été reconnu dans l’idée. Dans notre explication de la nature de Dieu, nous n’avons donc égard qu’à ces deux attributs reconnaissables. Et d’ailleurs tout ce que nous nommons attributs de Dieu n’est à la fin qu’une forme différente de notre faculté de concevoir, et ces formes différentes sont identiques dans la substance absolue. La pensée n’est à la fin que l’étendue invisible, et l’étendue que la pensée visible. Nous nous rencontrons ici avec la partie essentielle de la philosophie allemande de l’identité, qui ne diffère au fond nullement de celle de Spinosa. M. J. Schelling aura beau se débattre pour prouver que sa philosophie est autre que le spinosisme, qu’elle est bien plus un amalgame vivant de l’idéal et du réel, qu’elle s’éloigne du spinosisme comme la perfection des statues grecques s’éloigne de la raideur des originaux égyptiens ; je n’en dois pas moins déclarer que dans sa première période, à l’époque où il était encore philosophe, M. J. Schelling ne se distinguait pas le moins du monde de Spinosa. Il a seulement pris un autre chemin pour arriver à la même philosophie, et c’est ce qu’il me reste à expliquer plus tard quand je raconterai comment Kant a ouvert une nouvelle route, comment Fichte l’y a suivi, comme quoi